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Présidence puissance cinq chez Caritas

MODE ALTERNATIF. L’antenne Caritas du Bugue existe depuis une quinzaine d’années, portée par une fidèle équipe de bénévoles. Le Secours catholique a ses règles de fonctionnement, la présidence ne pouvant excéder deux mandats de trois ans*. Faute de succession assurée, les bénévoles ont imaginé une gouvernance plurielle. Un laboratoire qui pourrait faire école dans le réseau Caritas.

Initialement ouverte dans la cave du presbytère, l’antenne occupe depuis une dizaine d’années des locaux municipaux situés place de l’abbé Glory, où l’équipe peut recevoir dans de bonnes conditions même si la convivialité a dû céder aux précautions sanitaires imposées par la crise. Plus de café servi dans la cuisine, plus de tablée installée dans la cour le premier samedi du mois pour une auberge espagnole d’après braderie, journée ouverte à tous brassant les horizons humains. « Un mélange de convives formidable, insiste Dorothée. La notable fidèle et le passant qui reste, la musicienne qui sort sa guitare et le SDF qui finit par en jouer, une personne qui déclame une poésie et une autre qui dit n’en avoir jamais entendu… Rien de préparé, des instants magiques et informels. » Une véritable corne d’abondance, avec toujours de quoi se régaler, de plats parfois exotiques.

Le souvenir et le bonheur d’en parler demeurent, en attendant que ce temps revienne. La période difficile que nous traversons appelle plus que jamais la vigilance de l’équipe, qui continue de suivre des dossiers d’aides, un micro-crédit pour l’achat d’une voiture afin d’aller travailler, le soutien à des jeunes qui ne peuvent bénéficier du RSA, à des saisonniers que le tourisme entre parenthèses laisse de côté. « Nous accompagnons aussi une habitante qui a des problèmes et n’ose pas sortir seule, nous sommes là dans bien des situations… surtout pour remplir des frigos vides, c’est vrai. »

Toutes les occasions sont bonnes…

La boutique solidaire est aménagée avec soin par une étalagiste improvisée mais passionnée qui fait tourner le stock et les présentations au fil des saisons et de l’actualité, rose en octobre, bleu en mars et doré pour Noël. Les visiteurs sont accueillis sans distinction ; juste une pondération du prix des achats en fonction des situations personnelles, ceci dans une grande discrétion. Se côtoient ici toutes sortes de personnes, celles qui croient au ciel comme celles qui n’y croient pas ou viennent d’autres horizons, comme Fatima, l’une des cinq doigts de la main que constitue aujourd’hui la gouvernance locale.

Une douzaine de bonnes volontés se mobilisent pour collecter les dons faits par la population locale, pour les trier et les stocker, les présenter et les diffuser, ce qui demande de l’énergie et du temps, en plus du cœur mis à l’ouvrage. De vastes contenants sont à disposition (en plus des dons de généreux sympathisants) pour déposer de la vaisselle, des vêtements, des livres, ce qui est utile à ceux qui manquent de tout et peut s’exposer dans la boutique, laquelle vient d’obtenir le titre de boutique solidaire, attribué par la délégation départementale du Secours catholique, titre plus parlant que l’antique vestiaire quant aux motivations qui l’animent. « Beaucoup viennent faire des achats par solidarité, pour soutenir notre démarche. » Mais seules sont reçues, confinement oblige, celles qui ont besoin d’une aide d’urgence.

La boutique est la partie visible d’une fonction bien plus large du groupe, d’abord là pour écouter : tirer le fil d’un choix de vêtement ou de vaisselle permet d’engager la discussion sur des situations de vie et des aides plus personnalisées. « Des liens se tissent, par exemple les affaires pour bébé nous permettent de discuter avec de jeunes mamans dont la famille est éloignée, qui reçoivent nos conseils comme ceux d’une grand-mère » souligne Dorothée. Certains visiteurs ne viennent que pour ce lien, juste pour passer acheter une bricole, pour faire une sortie. « L’une m’a dit en partant que c’était sa bouffée d’oxygène, c’est vraiment gratifiant. »

Des communautés bienveillantes

La gouvernance partagée est stimulante, elle reflète un fonctionnement qui est toujours allé de soi et trouve ici une consécration dans sa formalisation. Aucune ne voulait de la charge individuellement, mais ces refus respectifs revenaient à fermer l’antenne. Alors l’idée s’est imposée de fédérer les qualités complémentaires de toutes, dans le maintien d’une bonne entente concrétisée dans cette proposition faite aux instances supérieures du mouvement. Les statuts ne prévoient rien de cela et la question ne s’était jamais posée. Elle pourrait l’être régulièrement à l’avenir… Alors pourquoi ne pas observer ce petit laboratoire d’expérience collective ? Il faut ainsi imaginer d’ores et déjà la relève ou modifier les textes sous peine de “griller” cinq présidentes d’un coup et n’avoir plus personne aux commandes après. « Tout est à inventer, cette initiative intéresse nos instances, qui se sont aussitôt montré favorables. On est force de proposition, très écoutées et suivies à la délégation Périgord-Agenais. » L’animatrice départementale accompagne ce mouvement engagé à l’été 2020, fait une relecture du temps écoulé avec un œil extérieur. « Cette gouvernance s’écrit en marchant et elle servira à d’autres », s’accordent-elles. Le modèle de l’Université du Nous, issue des colibris chers à Pierre Rabhi, est leur référence en matière de partage du pouvoir. Les plus, les moins, elles listent aussi les obstacles, mais les confinements gênent cette estimation.

Une osmose perceptible

L’avantage de la responsabilité partagée, au-delà du temps personnel libéré pour chacune, consiste à compter les unes sur les autres en cas de défaillance temporaire et à fourmiller d’idées. « Il existe une véritable concertation, pas une seule voix qui tranche au final mais la recherche d’un plein accord sur les questions de fond, on discute et on y arrive », disent-elles en cœur. Michèle Cotty, Fatima Goett, Anne d’Abzac, Chantal Montiel, Dorothée Beytout, ce club de cinq est à géométrie variable. Certaines ont une spécialité ­– Michèle la communication ; Fati le lien avec le CIAS et la décoration boutique ; Anne, trésorière-adjointe, la relation avec la paroisse ; Chantal celle avec la mairie ; Dorothée les rapports avec la délégation régionale et l’aide aux détenus pour la correspondance et le vestiaire —, mais toutes se disent interchangeables au besoin : le portable de l’antenne circule chaque semaine pour assurer la permanence téléphonique et les cinq sont au rendez-vous à l’accueil les jours d’ouverture de la boutique solidaire tout comme pour le tri des dons… une bonne occasion de faire circuler les informations du moment. Elles sont aussi en lien avec les assistantes sociales et les autres associations du Bugue (Croix-Rouge, Restos du Cœur, Récup’Acteurs).

Loin de diluer la responsabilité, la gouvernance partagée la renforce. Pas d’ego ni de tête qui dépasse : quand on sollicite la responsable de l’antenne c’est celle qui est disponible ou de permanence qui répond, sans préséance. L’expérimentation passe par le mode duo pour recevoir les personnes en situation de précarité, un compte rendu suit et les outils de communication permettent d’être au même niveau d’information en temps réel ou presque. « Nous formons une famille. » Elles cultivent la bienveillance depuis des années entre elles et envers les autres, et se retrouvent sur un socle de valeurs communes. Aucune n’est arrivée là par hasard. Et celles et ceux qui voudront les rejoindre pour cheminer dans cet esprit seront toujours les bienvenus.

* Un mandat de plus désormais.