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Une startup au service des plus précaires

Victoria Mandefield, fondatrice de Solinum, et Anna Corbel, coordinatrice Dordogne & Haute-Vienne © SBT
SOLIDARITÉ DIGITALE. L'innovation et le numérique pour repousser la précarité dans ses retranchements, en donnant de la puissance à l'impact social : c'est le pari (réussi) de Solinum. Son antenne périgourdine, implantée depuis ce printemps, a déjà bien avancé sur la création du Soliguide local.

Il était peu probable que Victoria Mandefield, en entrant dans une école d’ingénieur* à Paris, déroule un plan de carrière (qu’elle dit n’avoir jamais eu) vers une structure d’assistance à la pauvreté. Les filles sont encore rares dans le cursus et l’option pour le social à la sortie, plus rare encore. Solinum est né de l’envie « de créer mon propre truc, sans projet précis en tête ». Imaginée en 2016, la plateforme a été réalisée en 2017 pour fonctionner l’année suivante. Diplômée, en 2018, Victoria est directement passée du statut de stagiaire bénévole à celui de directrice générale de la structure : le projet a évolué vers une startup associative aujourd’hui présente dans 30 départements (18 300 lieux répertoriés), qui représentent la moitié de la population française. Solinum a trouvé son modèle économique et sa structure juridique pour devenir une banque de données incontournable en France dans le domaine social. « Nous fonctionnons avec des idées qui se répliquent tout en s’adaptant à la réalité locale. »

Solidarité innovante

Victoria était de passage cet été en Dordogne, où elle a de la famille. Elle sillonne régulièrement la France en train pour faire le point dans les antennes. Celle de Périgueux fonctionne depuis ce printemps, à l’espace de coworking l’Escale. La DG de Solinum, qui est aussi administratrice nationale de la Croix-Rouge, n’a jamais voulu devenir entrepreneure, comme tous ces « entrepreneurs sociaux (qui) font du service public citoyen ». Elle espère que sa structure est là pour mieux disparaître. Coluche ne disait pas être chose en créant les Restos du Cœur… « Mais c’est important de rester dans cet état d’esprit, les intentions et stratégies sont très différentes : on est là pour résoudre des problèmes, pas pour exister. » Victoria reste persuadée, quand on lui demande si elle n’a pas l’impression de réaliser ce que les pouvoirs publics et institutions ont mission de faire, qu’il importe d’assurer une neutralité pour les acteurs comme pour les usagers de cet outil.

Première base de données en France

Le secteur social reste en retard, avec un décalage au regard des capacités de la Tech : les idées sont là mais la mise en pratique s’avère compliquée. « On est en train de créer la première base de données de la solidarité en France alors que ça devrait exister depuis au moins dix ans, c’était matériellement possible… » Sachant que l’outil numérique n’est pas une baguette magique — il est plus efficace, c’est tout — et qu’il est nécessaire d’avoir de l’humain derrière… « Créer une plateforme ne suffit pas : les acteurs concernés ne se référencent pas d’eux-même. L’accompagnement est essentiel.» L’analyse des recherches faites sur cette base permettra de cibler les manques pour aller au plus près des besoins du terrain (par exemple la dimension saisonnière, avec la coordination des maraudes ou le renfort étudiant) et être réactifs, sans longues études et réunions…

Reflet de la diversité de la précarité

Le projet a évolué de façon organique, trouvant écho dans le monde associatif concerné par les publics vulnérables (les situations de fragilité sont multiples et innombrables, famille monoparentale, étranger exilé isolé, jeune homosexuel jeté de chez lui…) D’abord dans les grandes villes, puis en milieu rural. Objectif : répertorier des solutions aux situations d’exclusion au plus près du public concerné, en allant chercher les informations auprès des structures dans lesquelles elles sont éparpillées. « L’idée est de mieux orienter les personnes en situation de précarité, d’avoir un impact positif sur leur qualité de vie au jour le jour. »

© Solinum

Ce concentré d’aides existantes mais souvent méconnues, on les retrouve dans Soliguide, un guide solidaire en ligne pour personnes en difficulté lancé par Solinium. L’antenne locale l’a déjà alimenté et poursuit son travail. Les annuaires internes des acteurs locaux vont pouvoir se croiser. « Il existe beaucoup de services en milieu rural, des épiceries solidaires, des antennes de Croix-Rouge ou Restos du Cœur… » Centraliser les données, c’est aussi limiter la sollicitation des acteurs de terrain référencés, souvent bénévoles, qui n’ont pas toujours la possibilité de les mettre à jour sur plusieurs outils.

Un réseau Très social

Anna Corbel, coordinatrice de l’antenne Dordogne Haute-Vienne, coconstruit depuis son arrivée une base de données en lien étroit avec les structures du social et les institutionnels : un temps de référencement et de mise en place nécessaires avant de diffuser les informations et de cartographier les services existants ; une logique de terrain, pour s’implanter sur la durée. Les partenariats locaux viennent compléter ceux noués au niveau national. LaMaison24, Femmes solidaires, et d’autres acteurs de terrain sont associés à un comité opérationnel, qui vient en appui du comité de pilotage constitué d’institutionnels, qui devrait se réunir en septembre. De mise en relation en référencements, elle a prioritairement avancé sur l’aide alimentaire et le logement, répertoriant en deux mois 300 structures locales. La prochaine étape devrait concerner les chantiers d’insertion.

Aide alimentaire, logement, hygiène, sécurité : les fondamentaux de l’urgence sociale

 

Pour faire connaître l’outil auprès des usagers, l’information passe d’abord par les travailleurs sociaux, les têtes de réseau associatifs, les collectivités, etc., démonstration sur mobile à l’appui, pour que ces professionnels puissent gérer leur compte.

Inconditionnalité de l’accueil

Traduit en huit langues, le guide est accessible aux bénéficiaires comme à leurs accompagnants, avec des résultats filtrés en fonction des personnes à orienter et de leur statut. L’anonymat est respecté : ne pas être identifié permet même de se préparer psychologiquement à demander de l’aide, de repérer une autre commune de distribution que la sienne quand on vit en milieu rural. « On peut aussi créer du lien social, échanger des savoirs, des cultures du monde, des activités, au-delà de l’approche via l’aide alimentaire. L’enjeu, c’est qu’une fragilité sur un axe de vie pèse le moins possible sur les autres. Par exemple, que des difficultés de garde d’enfant n’empêchent pas d’accéder au travail. Dans cette approche globale, l’idée est de donner de la visibilité à des initiatives, par exemple des garderies associatives. »

© Solinum

La plateforme est gratuite. La personne peut en quelques clics trouver des services adaptés à ses besoins : accueils de jour, distribution alimentaire, structures sociales d’urgence, permanences juridiques, cours de français, logement, hygiène, sécurité…

« On est une petite structure, il n’était pas question d’avoir une usine à gaz, insiste Victoria. Les outils tech, adaptés web et mobile d’un coup, ont été développés pour donner accès en temps réel à une base de données à jour, exhaustive et complète afin de mieux orienter les personnes en situation difficile. » Esprit système D efficace : le plus utile possible pour le moins cher possible. Chaque contributeur peut faire évoluer des fonctionnalités, ajouter des filtres pour perfectionner le système. Le critère d’accueil « avec son animal » a ainsi été ajouté.

Les bases de données existent, elles sont complémentaires : l’idée est de les fusionner.

Solinum reçoit du mécénat ou la mise à disposition de compétences en intermission pour avancer sur la Tech et l’innovation. « Des entreprises nous soutiennent et au-delà de notre cas, on assiste à un mouvement de fond d’un engagement : entreprises à mission, régénératrices…»

Une cartographie éclairante

Le projet initial de cartographier en ligne les lieux de solidarité a évolué au bénéfice d’un répertoire des lieux ressources à disposition des personnes en difficulté. « Une carte nous semblait évidente au début mais la formule de liste de résultats s’est finalement imposée. » Une liste imprimée est aussi diffusée : même si on estime que 70 % des sans domicile fixe disposent d’un smartphone, l’objectif est de n’oublier personne. Le Covid a fait augmenter le public potentiellement concerné, avec un pic de consultation pendant le confinement. « Les personnes qui étaient à la limite, pour l’aide alimentaire surtout, ont basculé à ce moment-là. »

L’objectif de mise à jour est essentiel, pour que les bénéficiaires ne se retrouvent pas devant une porte fermée (surtout en milieu rural où il faut souvent parcourir des kilomètres, l’aide à la mobilité est d’ailleurs un sujet de réflexion actuel pour de nombreux intervenants) au risque d’abandonner le parcours de réinsertion. L’organisation générale de Solinum permet de répondre dans la journée à toute sollicitation. Toute l’équipe partage de bonnes pratiques en interne, mutualise des recettes acquises auprès d’autres structures. D’ici trois ans, l’ensemble de la France métropolitaine sera couverte par l’application. « On doit être partout et l’appli révèle, en creux, les endroits où nous ne sommes pas.»

Et après ?

L’outil est maintenant bien identifié et les implantations en région sont bien accueillies. Les professionnels de l’action sociale gagnent du temps grâce aux informations validées sur la plateforme. Ce réseau mobilise des activités à fort impact dans la lutte contre la précarité et ces deux jeunes femmes — 28 ans pour Victoria, 27 pour Anna — ont déjà beaucoup à nous apprendre et continuent à apprendre elles-mêmes des crises traversées, conscientes de celles qui arrivent (avec des réfugiés climatiques, notamment), en s’adaptant. Comme au début de la guerre en Ukraine avec l’intégration rapide d’une traduction pour permettre aux réfugiés de s’installer.

Et quand le temps sera venu de transmettre les clés de Solinum « à un acteur plus performant que nous », Victoria ne choisira pas la ferme dans le Larzac, mais « des enjeux encore plus systémiques, à attaquer à la racine, des choses pas sexy du tout comme les règles de comptabilité au niveau européen pour orienter les entreprises vers les impacts socio-environnementaux…» Mais en attendant un tel « sacrifice », il semblerait que Soliguide ait un bel avenir en Europe, parce que la précarité n’a pas de frontières : « On ne s’en rend pas compte mais la France a un super écosystème sur l’innovation sociale, on est en avance et le besoin existe partout. On va les aider à s’appuyer sur notre expérience ».

* La même école que l’un de nos contributeurs, Quentin Berthelot, qui a favorisé ce reportage : diplômé en 2015, il a connu Victoria à l’occasion d’un cours qu’il a dispensé à l’EBS Paris sur le no code.

Une pro parmi les pros locaux de l’action sociale

© SBT

Après des études la destinant à l’entrepreneuriat, Anna Corbel a

Contact : dordogne@solinum.org 

Interface de programmation d’application (API)

API Solidarité a pour mission de centraliser et redistribuer l’information sur toutes les solutions pour les personnes en situation de précarité en France en donnant accès « en temps réel à une base de données à jour, exhaustive et complète afin de mieux orienter les personnes en situation de précarité ». Le Soliguide dispose d’un backoffice, nourrissant par crowdsourcing les données de l’API Solidarité. Les informations proviennent des utilisateurs (suggestion d’information), des structures référencées qui disposent d’un compte professionnel, et des équipes terrains de Solinum sur les départements référencés. Tous les 6 mois, en été et en hiver, une mise à jour complète de la base de données est réalisée. De plus, les informations sont également mises à jour au fil de l’eau en fonction des remontées des structures référencées et des utilisateurs. Les informations peuvent ainsi être actualisées en temps réel ; chaque structure, formée à l’usage de cet outil, a la main sur la fiche qui la concerne.