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Prendre les chemins de La Traverse

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TRANSITION. D'un côté, un vaste espace inoccupé, de l'autre une association riche des idées de tous ses membres : La Traverse se prépare à transformer l'ancienne Manufacture des tabacs de Bergerac en ruche participative, dans une dynamique d'économie sociale et solidaire. Le temps d'un changement de destination, dans le quartier de la gare.

La Traverse, c’est d’abord tout un symbole : créer des ponts pour franchir des limites avec les bonnes volontés et les moyens rencontrés en chemin. Et le collectif, tel un cours d’eau, grossit d’affluents qui dépassent déjà le Bergeracois. Tous se retrouvent autour de valeurs et d’objectifs partagés pour concourir à une société plus durable et solidaire. Ils sont artistes, entrepreneurs, acteurs de la sphère associative et surtout citoyens du monde, et la force constructive qu’ils dégagent a déjà convaincu la mairie de Bergerac de soutenir leur projet. Lequel ? Valoriser des espaces momentanément inoccupés pour faire pousser des idées. Ils sont une cinquantaine de membres à “infuser” pour transformer des friches en lieux de vie, dans une dynamique sociale, culturelle, écologique, économique : l’ancien site de la Manufacture des tabacs, dans le quartier de la gare, à Bergerac, est leur champ des possibles. Des élus municipaux ont assisté à la journée organisée pour le premier anniversaire de l’association, en avril, pour dire tout le bien de ce passeport inclusif sur un mode transitoire ; et, comme le résume Pierre Machemie, cofondateur et président de La Traverse, « le transitoire, c’est l’objet même du collectif ».

La langue des signes, l’une des pierres inclusives du pont imaginé par La Traverse © SBT

Un projet d’ensemble

Laurence Rouan, première adjointe au maire de Bergerac, témoigne du regard bienveillant et curieux porté par la Ville sur ce projet novateur, sachant qu’il faut composer avec le temps long inhérent à la collectivité pour modeler ces 12 000 m2, avec projet d’écoquartier voisin et requalification de la voirie en mode doux. « La Ville y voit un projet d’ensemble, dont La Traverse fait partie », assure-t-elle, en attendant la préfiguration du bâtiment et sa remise en état. C’est sur ce temps long que devraient s’installer les rêves éveillés de l’association, pour faire vivre cet espace inutilisé mais pas forcément inutile… Sur la relation de confiance créée avec les élus, en fonction des études techniques menées, une installation sur place pourrait intervenir d’ici la fin de l’année.

Laurence Rouan, aux côtés de Pierre Machemie © SBT

Démarche écoresponsable et solidaire

À espaces temporairement vacants, esprits fertiles et plein de ressources ! Les bénévoles se saisissent d’outils d’innovation sociale avec la volonté de décloisonner et fédérer les bonnes volontés. Des temps de rencontre sur les valeurs communes ont permis d’imaginer des activités transversales, avec des groupes de réflexion sur la culture, l’activité économique, l’inclusion, la santé et le bien-être. L’expérimentation à l’œuvre se joue en complémentarité, à la croisée des intérêts communs : pour la collectivité, c’est le moyen de tester de nouveaux usages et contours d’un quartier en devenir, en limitant les risques de dégradation durant ce temps suspendu, d’animer les environs et de diversifier les activités ; pour les usagers potentiels, le dispositif présente l’avantage de locaux accessibles et bien visibles pour lancer une activité, de rencontrer des partenaires. En concentrant l’ensemble des possibilités dans une convention liant la Traverse au propriétaire foncier à travers un bail précaire, la structure d’animation du site et interlocuteur unique impulse une dynamique et assure la gestion des espaces. Les locaux mis à disposition soutiennent une offre de service liée à des enjeux d’insertion.

Préfiguration du café : comment l’imaginent ceux qui le fréquenteront © SBT

Fédérer les talents

Plusieurs partenaires sont déjà engagés dans l’aventure, à divers titres et projets : La maison de santé protestante de Bordeaux-Bagatelle via son institut de formation Nightingale Bagatelle pour un lieu ressource pour les étudiants de l’école d’infirmiers et d’aides soignants de Bergerac ; l’APAJH 24 via le CMPP de la Dordogne (lieu de consultation, de diagnostics et de soins ambulatoires recevant des enfants-adolescents et leur famille) pour l’accompagnement de jeunes ; le CFA du secteur sanitaire et médico-social de Bergerac (Adapssa) ; le Pôle ambulatoire de la Fondation John Bost pour soutenir l’inclusion en renforçant les passerelles entre institutions et milieu ordinaire ; Olfarom (Patty Canac, experte en aromachologie et thérapie olfactive) ; l’agence de communication Com’Libri pour favoriser l’accès au numérique ; le collectif d’artistes et d’artisans L’art est toi ; et des porteurs de projets de Fablab, de ludothèque nomade (ludoteko) et recyclo-ludothèque, de manège pour enfants à énergie sonore et musculaire (Aérofab)…

Elona Hoover, docteur en géographie humaine, assure le suivi et l’évaluation du projet global, dans un souci de codéveloppement et de mémoire collective, avec notamment un outil méthodologique de cartographie participative pour identifier les atouts.

• La Traverse est soutenue par l’agence bergeracoise de Pôle emploi, la Région Nouvelle-Aquitaine, Émergence Périgord, Yeswecamp.org

Il les fait Traverser

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Pierre Machemie s’est inspiré de ce qu’il a vécu avec Les grands voisins, à Paris 14e, fabrique de biens communs sur l’espace de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul : de 2015 à 2020, l’occupation du site a eu un impact social mesuré et observé, au-delà de l’hébergement d’urgence assurée sur place. À Bergerac, où il est arrivé il y a trois ans pour occuper le poste de directeur du CFA (Adapssa), après un séjour en Amérique du Sud, il a trouvé le terrain idéal pour une démarche identique, à l’échelle du Bergeracois ; pour soutenir chacun des acteurs engagés dans ce projet, lesquels, en le partageant, assureront une mission en lien aux autres. La Manufacture des tabacs, repérée comme foncier disponible, constitue « un projet d’installation sans risque pour la collectivité, il offre une parenthèse d’attente vivante, en évitant de murer un site pour se protéger des tentatives de squat. » Voilà pour le contenant, et côté contenu, en un an, une cinquantaine de personnes ont rejoint la proposition exprimée sur une page facebook très fréquentée. « Issues du public, du privé : le partage des envies, des métiers, des passions n’a pas de limites. » En attendant l’installation sur place, tous fixent des horizons sans mission précise, mais en ayant déjà permis à une douzaine de stagiaires de sortir de la déscolarisation ou du manque de perspectives. L’association ne devrait occuper que 300 m2 de la surface à disposition, laissant de larges latitudes à ses membres pour y faire grandir leur projet.

Un café au grand cœur

Dans ce lieu en devenir, le café est déjà au centre de toutes les attentions : pour favoriser les rencontres entre les “Traverseurs” et ceux qui le deviendront peut-être, avec l’environnement urbain et les voyageurs de la gare toute proche, entre ici et ailleurs. Loin d’un simple espace où “consommer”, ce café permettra de se rafraîchir les idées et se réchauffer le cœur dans le partage des savoirs, l’offre de débats et de connaissances, d’activités proposées par les participants : café philo, café tricot, soirée jeux, groupes de paroles (en partenariat avec des institutions de santé), rencontres d’auteurs (avec la librairie indépendante, éprise de “bibliodiversité”, La Colline aux livres), dégustation de bières (avec La Libellule et d’autres producteurs locaux), café signes (avec l’Uradepa, service d’accompagnement aux personnes déficientes auditives) et linguistiques, petit déj projet pro, contes pour enfants, ateliers d’écriture, bistrot littéraire, apéro voyage, soirées primo arrivants, ateliers culinaires, initiation au zéro déchet… les “Traverseurs” ne manquent pas d’idées à mettre en œuvre(s), avec aussi des temps d’expositions et de musique.

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Dominique, tête chercheuse ès-bienveillances © SBT

Faire de la différence une force. Tout ceci dans un souci d’inclusion au sens large, du coin allaitement et espace enfants-jeunes parents (et grands-parents) aux aménagements pour l’accueil de personnes handicapées. Le modèle économique de ce café repose aussi sur la librairie et la vente d’ouvrages d’occasion, pour donner une deuxième vie aux livres avec l’installation d’un rayon bouquiniste « hors les murs » de la Colline aux livres. La privatisation d’espaces devrait aussi générer des revenus et élargir le public. Bien sûr, la carte privilégiera les produits locaux et éthiques, sans oublier le recyclage. Dominique Korbendau, bien connue à Bergerac pour avoir déjà animé un lieu dans cet esprit, a le savoir-faire professionnel et la fibre sociale. Pour le moment, c’est un peu « la bénévole des bénévoles ». Elle s’attache à fédérer les acteurs de cette mixité sociale et entraîner les initiatives de sociabilité, dans le prolongement de La Smala, rejointe l’été dernier avec le théâtre de La Gargouille, et de la démarche d’économie sociale et solidaire qu’elle partage avec La Colline aux livres en préparant ce café librairie. « Au regard de la liste de leurs envies que laissent les intéressés sur le tableau, et ce qu’ils souhaitent apporter, je vois un potentiel énorme : ce que je faisais avant mais en XXL, en liant toutes mes activités. »

Auprès d’elle, de riches profils prêts à s’investir, comme Charlotte, qui a participé à des ateliers créatifs avec des personnes handicapées au Liban, à l’accueil de femmes victimes d’exploitation sexuelle à Montréal, à un réseau d’épiceries solidaires à Toulouse ; ou Béthy, chimiste reconvertie à la pâtisserie, déjà impliquée dans un projet collaboratif d’incubateur dans une friche industrielle, à Orléans.

La mousse de La Libellule

La Libellule, basée à Maurens, n’est pas une brasserie artisanale (et fabrique de limonade) comme les autres. À travers son activité commerciale, elle véhicule des valeurs environnementales appliquées au procédé de production et une implication dans l’économie locale (malts bio, houblons du Périgord, vente en circuits courts). Ses créateurs, deux ingénieurs, souhaitent s’ouvrir à un tourisme artisanal avec proposition de rencontres et de stages que le projet de La Traverse permettra, avec une option d’intégration sociale par le travail (réinsertion, réorientation, adaptation). « Ce lieu sera idéal pour créer des événements, accueillir des associations et des artistes, disposer d’une boutique, imagine Loïc Gaudin, copilote de La Libellule avec Philippe Lebleu. Notre démarche s’articule tout à fait avec des projets qui n’ont pas de viabilité assurée dans une société « normale », dans un esprit de récupération, de mise à disposition, de bricolage, de détournement et de réutilisation, de mutualisation de moyens. Nous sommes en synergie avec le site, avec des envies de concerts autour du bar. La dimension pédagogique est aussi prévue, avec des initiations et des formations. » Le bâti sera financé dans le cadre de La Traverse tandis que La Libellule financera l’usage. « On apprécie la richesse de voisinage, une proximité vertueuse, sachant que la diversité facilite les choses autant qu’elle les complique…»

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Commercial pour des chaudières à granulés et passionné de technologie, il est aussi impliqué dans L’Attache rapide, qui promeut la réutilisation des bouteilles en verre dans un réseau de lavage et de consigne. Dans un mouvement de soutien mutuel, le projet de La Traverse accompagne la création d’entreprise de La Libellule, et inversement.