Accueil BIEN ensemble Vivre, c’est aussi apprendre à mourir

Vivre, c’est aussi apprendre à mourir

Colette Lirou, Alexandrine Vidal, Marie-Laure Pommarède ©SBT
ÉTHIQUE. Alors que la réflexion se poursuit en France sur l'échéance ultime de nos destinées humaines, avec la Convention citoyenne qui aboutira peut-être à une nouvelle loi, les mots se bousculent et se télescopent : directives anticipées, suicide assisté, euthanasie, soins palliatif, aide à mourir, fin de vie digne... L'association Alliance 24 a invité deux professionnelles du soin à témoigner lors d'une soirée cinéma à Périgueux.

Alliance 24 et Ciné Cinéma ont coorganisé une séance passerelle Ciné-Échanges au multiplexe de Périgueux autour du film De son vivant, une remarquable fiction d’Emmanuelle Bercot, aux confins de « la vraie vie » — et peut-être d’une mort véritablement humaine, dans un service d’accompagnement que l’on souhaiterait généralisé et dans un hôpital bien portant — ; admirablement interprétée. Le rôle du médecin chef du service est d’ailleurs tenu par un véritable médecin de cette spécialité. La réalisatrice l’a rencontré lors d’un voyage aux États-Unis et l’idée de ce film a grandi avec lui.

À fleur de peau

À l’issue de la projection, la présidente d’Alliance 24, Marie-Laure Pommarède, a invité le public et les bénévoles de l’association à échanger avec Alexandrine Vidal, médecin-gériatre (diplôme interuniversitaire de prise en charge de la douleur) à Bergerac et Colette Lirou, cadre de santé (lits identifiés soins palliatifs). « Je trouve le film très proche de la réalité, jusque dans le maquillage, les moments avec les équipes, les questionnements et les émotions sont très proches de ce que l’on vit, ce sont les mêmes situations. » Alexandrine Vidal part de cela pour évoquer la manière dont elle travaille. « Le film montre des scènes de toucher entre soignants et patient, un lien ultra important parce qu’il est souvent seul dans son lit et la famille n’ose pas toujours toucher ce corps qui n’est plus celui de la personne qu’elle a connu. Nous, soignants, sommes dans ce rapport-là et je suis convaincue qu’on entre dès lors en contact avec le patient. » Le massage pendant une chimiothérapie, douce sensation qui peut effacer la contrainte des gestes nécessaires, n’existe pas partout.

Tendre vers l’essentiel

« On est vraiment au cœur d’un service de soins palliatifs, pas de médecine », insiste Colette Lirou, cadre santé et membre actif d’Alliance 24, qui retrouve bien dans ce film les médications suspendues. Ne reste que l’essentiel, pour le (relatif) confort du patient. « À l’arrivée d’un service actif ou de réanimation, on enlève la sonde, la perfusion, tout ce qui est traumatisant, pour ne conserver que ce qui peut apaiser, l’essentiel. » Des fils, des liens à une vie en suspens, tombent progressivement. La médecin observe pour sa part qu’« à la fin, on discute même de la nécessité du brassard à tension, qui serre un peu : est-ce que ça va servir ou pas ? ».

Temps d’échange avec le public, Ciné cinéma et Alliance 24 au CGR © SBT

Colette Lirou rappelle qu’il existe des formations sur le toucher relationnel : « un maximum de soignants se sont formés pour pouvoir dépasser les réticences ou la gêne du patient, on a davantage de temps pour le mettre en œuvre dans ces services, le personnel est plus nombreux ».

Un suivi transversal

Un service de soins palliatifs peut accueillir des patients dirigés par les urgences, mais aussi par le médecin traitant en lien avec la famille, ou suivis par une équipe de cancérologie. « Par définition, les soins palliatifs ne soignent pas au sens curatif, rappelle la médecin gériatre. Ils peuvent aussi concerner des maladies longues et évolutives comme Parkinson, et permettent d’avoir un regard autre que celui du neurologue qui suit le patient. Les soins palliatifs sont véritablement arrivés avec la prise en charge des malades du Sida. Et l’épidémie de Covid a aussi permis de développer ces soins dans tous les services. »

Le temps nécessaire

La place laissée aux familles est bien visible dans le film aussi : la porte leur est ouverte, sans restriction d’horaire ou de nombre, contrairement à d’autres services. Le personnel s’adapte et laisse la place aux échanges — paroles, regards, gestes — qui rattrapent parfois une vie d’esquive. « Certaines familles demandent à participer à la toilette. Je pense à une famille qui s’en chargeait avant l’entrée dans le service, et elle comme le patient s’en sentaient dépossédés. C’est toujours le patient qui décide des visites et il arrive que certaines personnes ne soient pas bienvenues. Nous respectons sa demande. Nous sommes témoins d’une relation, à nous de ne pas en être juges, de savoir ce qui est juste pour le patient et ce dont il a envie, de l’aider à formuler et mettre des limites s’il ne peut plus le faire. Le patient et les familles nous guident, nous sommes là pour écouter et aider », ajoutent-elles d’une même voix.

À domicile aussi

L’accompagnement peut se dérouler en hospitalisation à domicile : les proches sont alors davantage sollicités, ce peut être une charge voulue. « Il faut être prêt. Certains ne veulent pas imposer un décès à domicile, d’autres reviennent justement pour finir leurs jours chez eux. » Mais il faut souvent composer avec des allers-retours entre hôpital et domicile, en fonction de l’état de santé.

Charge émotionnelle

Des situations mobilisent plus que d’autres une charge émotionnelle et les équipes utilisent autant de débriefing qu’il le faut. Ces discussions, ces confidences, contribuent à « devenir équipe » en fonction du vécu de chacun. « Ces moments ensemble nécessitent beaucoup de finesse et de bienveillance, ils peuvent renvoyer à des choses terribles pour les soignants. L’écoute entre nous est essentielle.»

Pour Colette Lirou, à la fois soignante et accompagnante au sein d’Alliance 24, ces deux approches sont complémentaires : « Je sors de formation d’Alliance, je crois que l’accompagnant doit être discret, fondé sur l’écoute. Notre rôle est nécessaire, nous sommes reconnus d’utilité publique ». Marie-Laure Pommarède complète : « Les infirmières, en particulier, n’ont pas toujours le temps, elles font les gestes techniques. Les bénévoles viennent en complément, en présence, en écoute, pour recevoir la parole… ou le silence. De plus en plus de services nous attendent, nous y sommes bien intégrés. Ce film montre que la douleur est traitée et, dès lors, on peut tout à fait partir plus paisiblement. Des personnes qui demandent une aide active à mourir ne la réclament plus une fois en soins palliatifs ».

©SBT

Les mots et les états

La docteure Alexandrine Vidal ajoute un mot sur la loi Claeys-Leonetti qui encadre actuellement « la sédation profonde et continue », par l’usage croisé d’antalgiques (antidouleur type morphine) et d’anxiolytiques, jusqu’à la sédation, état d’endormissement vérifié par le corps médical, qui observe les réactions pour que le patient ne se réveille pas. « Pour lancer cela, il faut qu’il ait fait part de sa souffrance, physique ou morale : là, c’est compliqué, car il est plus facile d’endormir quelqu’un qui hurle de douleur… constate la médecin. Pour le patient qui a toute sa tête, mais connaît et ne supporte plus sa courte espérance de vie, la sédation demande plus de préparation, comme pour ceux qui administrent les doses. Il faut que ce soit un choix bien compris pour tout le monde, un accord issu d’un véritable échange. »

En confiance, en conscience

Les directives anticipées laissées par le patient (par écrit ou oralement, révocables à tout moment en fonction du cheminement de chacun) servent de boussole lorsque celui-ci n’est plus en état de s’exprimer : elles indiquent ce que la personne veut ou ne veut pas, on peut les écrire même très jeune en se projetant dans une situation d’accident ou autre (« je ne veux pas de trachéotomie, de stomie », etc.). Colette Riou évoque l’utilité des prescriptions anticipées, qui permettent d’agir dans l’urgence d’une fin annoncée (hémorragie d’une tumeur par exemple), pour que le soignant endorme le patient hors présence du médecin. « On ne prend jamais de décision sans avis et consentement de la personne de confiance qui a été désignée, dépositaire de la volonté du patient », insiste Alexandrine Vidal.

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D’autres approches de la fin de vie s’expriment bien sûr en fonction de convictions philosophiques ou religieuses, c’est le cas notamment pour les adhérents de l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). La déléguée départementale, Dominique Attingré, et le collectif ADMD24, réaffirment les engagements de l’association nationale après la publication du Pacte Progressif de Fin de Vie. Pour que chacun puisse demander à son médecin une aide à mourir en cas de maladies graves et incurables, dans des souffrances physiques et morales que les traitements ne parviennent plus à soulager. « Nous partageons la vision d’une société qui donne sa place à la liberté de conscience, la solidarité, la citoyenneté et l’émancipation (… 😉 le constat que le cadre actuel sur la fin de vie doit évoluer afin de répondre au mieux aux besoins et aux attentes de nos concitoyens pour toutes les structures en fin de vie. » Ils en appellent « au respect de la liberté de choisir et d’agir des personnes, de façon éclairée et sans pression ; à l’effectivité des droits des personnes en situation de fin de vie (un égal accès aux soins palliatifs sur tout le territoire, le respect des directives anticipées et des volontés exprimées) ; à la légalisation d’une aide active à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable qui, en conscience et librement, la demanderaient ».

Abolir la souffrance reste, dans tous les cas, un horizon nécessaire. Un premier pas vers une fin digne, sans obstination déraisonnable. Étape à partir de laquelle on peut vouloir aller « au-delà ».

Notre propre fin ? « … c’est là l’unique préparation que nous soyons certains de mettre à profit un jour. » Sénèque, Lettres à Lucilius

Un an avec Alliance 24

Alliance 24 a repris un cours plus normal d’activités, après les années contraignantes de période Covid. Les interventions de bénévoles ont repris presque partout pour l’accompagnement. Les services d’oncologie de la clinique Francheville, les « lits identifiés soins palliatifs » des hôpitaux de Périgueux et de Bergerac et du centre hospitalier intercommunal Ribérac Dronne Double reçoivent des visites toutes les semaines de façon régulière, de même dans les Ehpad de Bergerac et de Ribérac. Les visite au Château de Bassy ayant été interrompues quelques mois par manque de bénévoles disponibles reprennent ce mois de mars. Et plusieurs malades sont visités à leur domicile. Sans oublier quelques accompagnements au deuil.

Équipe de bénévoles. Une formation initiale a été mise en place, avec une séance de tutorat et découverte d’accompagnement sur le terrain. Et l’équipe de bénévoles s’est étoffée. Les webinaires mis en place par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) pour la formation continue sont régulièrement suivis. Une session a pu se dérouler sur place au printemps 2022, avec un grand nombre de bénévoles réunis autour du Dr Geneviève Demoures. Après le congrès de la SFAP à Bordeaux, où Alliance 24 a contribué à l’accueil des congressistes, le séminaires des accompagnants se déroulera cette année en Dordogne où les bénévoles des associations de Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées Atlantiques se retrouveront.

En 2022, l’activité globale des bénévoles en Dordogne a représenté 1 305 heures (contre 1 774 h en 2021)