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Inclusion numérique : tous concernés

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ENVIRONNEMENT NUMÉRIQUE. « L’illettrisme numérique, ou illectronisme, est l’état d’une personne qui ne maîtrise pas les compétences nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources numériques. » Familiers des réseaux sociaux, sommes-nous si à l’aise dans d’autres situations et usages du monde digital ? Le service de santé au travail accompagne la réflexion, vers des solutions.

Dans une civilisation rapidement passée du papier au digital, l’illectronisme touche plus de gens que l’on croit, et pas seulement une classe d’âge senior. Le déploiement de conseillers numériques dans les espaces France services et dans les collectivités locales apporte une aide de proximité aux citoyens mais certains sont gênés au quotidien par la difficulté à maîtriser l’outil informatique et l’usage d’internet, sans oser l’avouer par crainte d’être écartés de leur travail ou de leur cercle de connaissance.

Dans ce contexte, les personnes qui, en plus, maîtrisent mal notre langue sont doublement handicapées. Le service de santé au travail de Dordogne a proposé un point sur la situation en entreprise et au-delà, pour permettre de repérer les stratégies d’évitement et de tendre la main à ceux qui n’ont pas le clic facile. S’il continue à s’investir dans la prévention et le soutien aux salariés touchés par des soucis physiques, le SST24 s’attache à apporter une aide dans la sphère morale, et l’angoisse engendrée par les impératifs numériques en fait partie. « L’illectronisme peut exclure du groupe, cette fracture numérique peut faire mal humainement », déplore Philippe François, son président. Ainsi la structure a-t-elle programmé un rendez-vous dans le cadre de son laboratoire d’idées en santé et qualité de vie au travail, et d’autres ateliers suivront.

Philippe François lors de l’ouverture de l’atelier © SBT

Éviter l’exclusion numérique

On se rend compte que chacun peut être touché par une forme d’illectronisme, un décalage entre ce qu’il sait ou croit savoir et l’usage réel des multiples formes de manipulations digitales. L’absence de limites entre l’activité au travail et le reste de la vie citoyenne, la nécessité d’utiliser les mêmes outils entraîne des épreuves identiques pour certains. Un Français sur deux éprouve des difficultés avec l’outil numérique. Et 17 % de la population est touchée par l’illectronisme, un mot entré en 2020 dans le dictionnaire.

Marie-Anne Vansoeterstede, formatrice et fondatrice de l’organisme “Jemeformeautrement”, rapporte que bien des gens qui s’estiment a priori non concernés parce qu’usagers d’internet, peuvent se retrouver poussées dans des retranchements difficiles (les connexions en visio lors des confinements l’ont souvent révélé).  « Internet a pris une place considérable à la maison, les outils électroniques sont utilisés pour créer une entreprise ou payer ses impôts, il faut savoir trouver un site mais aussi naviguer dessus (et certains ne sont pas évidents), comprendre ce qu’il faut faire, savoir ajouter une pièce jointe dans le bon format… Les témoignages de mise en échec sont finalement assez nombreux. » Pour l’usage au travail, pour la bureautique et les logiciels professionnels, l’organisation et la production, les réunions, le marketing, tout ou presque dépend de l’outil numérique, qui devient chronophage dès qu’il dérape … sachant qu’on l’utilise souvent à un faible pourcentage de ses capacités.

Marie-Anne Vansoeterstede et Laetitia Mauduit © SBT

À chacun ses limites

Si on observe l’âge, les jeunes sont plus à l’aise sur les réseaux sociaux et les jeux alors qu’ils se perdent sur un site institutionnel. « Action Logement, par exemple, demande plusieurs inscriptions avec mots de passe car les informations sont cloisonnées : des jeunes jettent l’éponge, c’est une forme d’illectronisme », souligne Laetitia Mauduit, expert informatique, qui apporte des solutions aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités.

La complexité des moteurs de recherche décourage certains aînés, qui s’en tiennent à la maîtrise du partage de photos et à des échanges via Facebook. L’essentiel est dans ce cas de rompre l’isolement, à condition d’être situé hors zone blanche (la fin du développement de la fibre est prévue pour 2025, ce qui permettra notamment de réaliser les téléprocédures et de développer la télémédecine). Les seniors, sauf exception “maminator ”, sont moins à l’aise car ce n’est pas dans leur culture. Mais le niveau d’études compte aussi : des personnes cultivées refusent un usage dont ils perçoivent tous les dangers et n’en voient pas l’intérêt, forts de leur bibliothèque traditionnelle, ils se limitent au courrier électronique… Certains professionnels, habitués à confier leur secrétariat à une assistante (et leur quotidien à leur épouse !) ne se rendent pas compte du temps de gestion que cela représente ; alors que d’autres, moins instruits, surferont parfaitement dans toutes les situations.

Question d’ergonomie

L’ergonomie des sites et des appareils, la réactivité de certaines hotlines, la motivation éthique ou écologique, la peur d’être tracé ou fiché, ou celle du ridicule, bien des critères comptent dans le fait que 27 % des + de 60 ans n’utilisent jamais internet (42 % pour les plus de 80). « Le confinement a modifié des comportements, certains ont réussi à faire quelques progrès, mais le niveau d’exigence s’est élevé à cette occasion, reprend Marie-Anne Vansoeterstede. Beaucoup de jeunes sont équipés, mais ne savent pas utiliser toutes les fonctionnalités. » 16 % des ménages les plus modestes souffrent d’illectronisme contre 4 % des plus aisés : c’est aussi une question de matériel, de connexions, donc d’argent. 38 % des usagers disent manquer de compétences numériques dans au moins un de ces domaines : recherche d’information, communication, utilisation de logiciels, résolution de problèmes.

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À la décharge des usagers, qui effectuent souvent leurs démarches depuis une tablette, l’ergonomie des sites officiels n’est pas toujours adaptée à cette consultation pour les pages écran. À noter que le tout-numérique n’est pas forcément une valeur ajoutée : la multiplication d’écrans tactiles peut rendre les usagers moins autonomes sous couvert de simplification des choses courantes… et l’usage se perd ensuite dans la réalité, face aux difficultés de fond.

N’ayez pas peur !

Les démarches administratives nécessitent maintenant de savoir naviguer sur des sites Internet, comprendre les notions de “validé ou actif”, Internet est devenu indispensable pour rester au courant dans la vie sociale, le travail, la famille, l’école et même la domotique (aspirateur et tondeuses à gazon compris) et les loisirs (pour réserver son billet de train ou son entrée au musée), les livraisons de courses, les photos, la musique, la communication avec la famille… sans oublier les QR codes indispensables pour nos circulations à l’heure Covid. Le télétravail qui s’est développé avec la crise sanitaire a mis des salariés au pied du mur et de leur incapacité à aller au-delà des réseaux sociaux, qui demandent déjà une sensibilisation à l’environnement numérique, même sous des dehors plus conviviaux. La révolution ne fait que commencer puisque la dématérialisation des services publics se poursuit en 2022 pour digitaliser 250 démarches courantes (programme action publique 2022), plan Ma Santé 2022, la loi pour une République numérique : comment faire autrement ? Ceux qui ont effectué des téléprocédures pour une carte grise ou une pièce d’identité en ligne finissent souvent au secrétariat de leur mairie. Car tous les sites ne disposent pas du fameux fil d’Ariane qui permet de se retrouver au fur et à mesure que l’on remplit un dossier en ligne, et de visualiser sa démarche dans le temps et l’espace.

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Aussi c’est le mot “peur” qui surgit souvent quand on aborde le sujet et beaucoup ressentent des envies d’abandonner devant l’ordinateur, car les contacts administratifs que l’on fait déjà à reculons se doublent de complications techniques. Déjà, les boîtes vocales avaient rompu le fil téléphonique qui relie l’usager aux structures du quotidien : Internet signe une sorte de double peine.  Faut-il faire à la place de ? Comment aider au mieux un collègue, un familier, un voisin sans ajouter à sa propre charge de travail et sans être intrusif dans sa vie privée ? Comment favoriser l’inclusion numérique ?

Laetitia Mauduit apporte des solutions aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités. « Les formations proposées dans les médiathèques ou autres proposent une approche collective et générale mais chaque attente est particulière : certains préfèrent apprendre moins de choses, mais de façon individualisée. Et il faut laisser aux personnes plus âgées le temps d’assimiler. »

La clé de la formation et du lien social

« Les professionnels doivent repérer les difficultés en entreprise pour ne pas surcharger les autres salariés et ne pas hésiter à financer des formations : ça coûte plus cher de ne pas le faire, poursuit Marie-Anne Vansoeterstede. Et les salariés n’ont pas à avoir honte de faire remonter les difficultés rencontrées, ou de demander de l’aide hors du cadre de l’entreprise en utilisant les aides individuelles à la formation. » Rester ouvert et curieux, se faire aider : le numérique passe aussi par du lien social, la rencontre de ses voisins. « Il est bon de croiser les réseaux, certains moyens d’entraides sont surprenants : ainsi, là où la mairie d’une petite commune assure ne pas avoir eu de demandes d’aide, le curé de la paroisse dit soutenir régulièrement des gens dans leur démarches électroniques, il prête même des adresses électroniques. » Il importe donc de multiplier les interfaces, les médiations, pour mettre de l’humain entre l’outil et la personne en difficulté et repousser le découragement ou la répulsion.

Gérer les usages

L’exclusion sociale, la perte financière et de droits, la privation de loisirs et d’autonomie, la perte de confiance en soi sont autant de conséquences de l’illectronisme. « Les outils numériques permettent une baisse de coût immédiat, avec des économies de personnel, une rapidité des démarches, une facilité bureautique et une mise à disposition d’une foule d’informations, une automatisation des process longs et difficiles, ils permettent le travail à distance, résume Marie-Anne Vansoeterstede (“Jemeformeautrement”). Mais en retour, ils sont chronophages à l’infini et complexifient les organisations, pour des raisons de sécurité notamment, mobilisent une grande énergie, génèrent des besoins avec des abonnements et des renouvellement de matériels à l’obsolescence programmée, cela suscite des pollutions, des maux de dos et fatigues oculaires, une solitude, des addictions parfois. Sans pouvoir refuser tout cela, on peut gérer l’usage : sans lire une documentation de A à Z, on peut trouver des tutoriels ou des conseils avisés auprès d’amis, d’associations ou de professionnels. À chacun de savoir s’il préfère apprendre pour être autonome, ou faire intervenir un spécialiste… question d’engagement personnel. » Découragement, manque de temps ou de motivation : le numérique parle de nous.