Les déjeuners à haute voix du collectif “Elles font l’art en Nouvelle Aquitaine !”, voulu et animé par Véronique Iaciu, directrice artistique du festival musical du Périgord noir, se poursuivent. De nouveaux parcours de vie rejoignent l’aventure partagée depuis bientôt un an, dépassant la seule création artistique pour croiser les expertises : Karine Loiseau (Pastels Girault), Marie-Hélène Saller (Cinétoile), Hélène Perret (Unendliche Studio), Bridget Cunningham (chef d’orchestre), Agnès Rebuffel (haut-fonctionnaire dans les instances européennes, Périgourdine depuis 20 ans, elle écrit actuellement des histoires pour les enfants afin de développer leur imaginaire sur l’Europe, aimerait qu’ils se sentent « de leur village, de leur pays et Européens »), réunies ce début d’année dans la magnifique chartreuse des Fraux de Sophie Dupont, autour d’un déjeuner préparé par la cheffe artiste Anita Pentecôte, au parcours insolite dont nous reparlerons bientôt.
Périgord, terre d’adoption
Toutes évoquent et partagent leur expérience dans la sphère culturelle, et la nécessité de se créer un réseau d’entraide. L’ancrage en Périgord se fait par le fil d’origine (Anick), le lien familial (Hélène) ou le choix de vie (Sophie, Pauline, Karine, Marie-Hélène, Bridget).
Karine Loiseau et son mari, repreneurs des Pastels Girault, entreprise riche d’une longue tradition artisanale, ont aussi ouvert une galerie d’art à Montignac, pour donner à voir des œuvres utilisant cette technique d’expression. L’affiche de la 40e édition du festival du Périgord noir se révèle sous influence pastel, un lien qui devrait se concrétiser d’ici cet été.
Bridget Cunningham, née à Londres, mariée à un Irlandais, jongle avec les passeports depuis le Brexit. La famille demeure à Saint-Rabier depuis huit ans, elle adore le Périgord, mais passe aussi du temps dans l’Essex, où elle travaille surtout même si elle espère diriger davantage d’opéras en France. Claveciniste et chef d’orchestre, directrice artistique du London Early Opera, elle dirige des chorales, des orchestres, des opéras… Ses projets portent sur Fairy Queen, de Purcell ; L’Amour Médecin, de Lully ou encore les Variations Goldberg.
Pauline Coste, dont le documentaire “Dames et princes de la préhistoire” a été diffusé en juin sur Arte, a vu son talent récompensé par le Grand Prix du festival de Narbonne 2021. « Je passe un cap important, celui de la diffusion télé, avec aussi un film pour France 3 Aquitaine. » Avec sa sœur Nadia, autrice d’une trentaine de romans jeunesse, elle a adapté un scénario de voyage dans le temps écrit voilà quelques années : après deux ans de travail en commun, “Devine de quand je t’appelle”, est sorti en août 2021, au Seuil. « Le monde de l’édition est bien différent de celui du cinéma où l’étape de l’écriture marque le début du chemin, tout le film est à réaliser ensuite. Avec ce livre, je suis heureuse de revenir à la fiction, j’aimerais beaucoup faire un long métrage à partir de cette histoire, c’est-à-dire travailler à l’inverse : produire un scénario à partir de ce livre. » La formation et l’expertise de Pauline dans le domaine de la préhistoire lui ont donné l’occasion de guider une visite atypique du Musée national de préhistoire avec une lecture du livre, face au squelette de bison et d’autres vitrines en résonance.
L’image et le son
Marie-Hélène Saller a choisi le Périgord il y a 18 ans. Scénariste connue et reconnue (Joséphine ange gardien), elle est aussi médiatrice pour les cinémas Vox de Montignac et Lux du Buisson-de-Cadouin. Elle s’investit largement auprès des cinémas en milieu rural qui ont de plus en plus de mal à obtenir des copies. « Les jeunes vont donc voir les films ailleurs avant ; l’influence des plateformes compte aussi, et en tant que scénariste, je reconnais qu’on peut écrire pour des séries de toutes sortes, avec des personnages que l’on tient longtemps. Je me laisse tenter : je travaille avec un producteur sur une série historique. » La médiation n’est que plus importante dans ce contexte, pour accompagner le public lorsqu’il veut sortir d’une consommation culturelle à domicile et pour organiser des événements.
Le cercle créé en Dordogne s’ouvre progressivement à la région, ainsi Hélène Perret témoigne-t-elle de son expérience, au-delà de la réalisation, avec Eddie Ladoire, du parcours sonore géolocalisé des Jardins de Marqueyssac, en lien avec le festival du Périgord noir. « En 2018, nous avons créé un parcours sonore sans narration, un paysage sonore de Marqueyssac et des lieux du festival. » Ceci dans le cadre d’un appel d’offre “culture patrimoine et numérique” de la Région, dossier déposé par Véronique Iaciu dans le souci de garder une trace du festival, « car une fois qu’on a quitté un lieu de concert, c’est terminé, et il est intéressant de compléter cette magie de l’éphémère ». La trace, en terre de préhistoire, ne compte pas pour rien. Il se pourrait que l’académie de musique du festival, à l’abbaye de Saint-Amand de Coly, soit le prochain projet de parcours patrimonial sonore.
Enrichir l’espace par le son
Hélène Perret et Eddie Ladoire, mariés et associés, ont créé leur activité en 2014, en Gironde, avec un parti-pris sonore alors très novateur. Eddie Ladoire vient d’un univers musical (piano et électroacoustique) et des arts plastiques (Arts décoratifs), et unifie les deux sous forme d’installations sonores. « Les micros sont ses instruments, il enregistre l’identité sonore des sites qu’il traverse, villes, quartiers, bâtiments pour retranscrire leurs résonances et leurs usages, dans l’idée de travailler sur le pouvoir de suggestion du son », souligne Hélène Perret, qui compare ces images mentales à celles qui peuvent naître d’une lecture. Après avoir présenté des travaux de plasticiens et musiciens contemporains à travers leur dimension sonore, via une structure associative de médiation culturelle (avec une saison au CAPC de Bordeaux), tous deux ont fondé Unendliche (infini en allemand) studio. Le temps pour Hélène de décrocher d’un parcours professionnel dans le spectacle vivant, musiques actuelles et contemporaines, pour se consacrer enfin à leurs propres projets. Ils poursuivent la production de parcours sonores, engagés dès 2008 avec des baladeurs MP3 et cartes papier, puis géolocalisés avec le développement des smartphones. « Je me suis toujours intéressée à la dimension numérique dans les pratiques culturelles, j’ai cru à cette forme de créations sonores en déambulation. » Deux artistes qui faisaient aussi du code ont foncé avec elle pour construire une application dédiée en 2011, un prototype qui a reçu le soutien de la Région. Objectif : associer une création sonore artistique à un site en extérieur, un itinéraire, l’idée étant de traverser des paysages sonores, réalité et fiction mêlées, pour faire vibrer l’imagination.
Production indépendante
La société produit des podcast, parcours et installations sonores, mais apporte aussi un conseil sur les modes de diffusion, assure la direction artistique et la post-production. Elle vient ainsi de livrer une œuvre originale, nouvelle approche touristique commandée par l’Institut de France et la Monnaie de Paris (la plus ancienne entreprise de France). À chaque fois, « comme sur un tournage de cinéma, on monte une équipe pour une création intégrale, à partir des contenus patrimoniaux, historiques ou scientifiques qui nous sont transmis, pour imaginer une narration plus poétique que documentaire, une création sonore immersive qui vient en complément d’audioguides ou de visites guidées par des conférenciers ». Tous les sons sont originaux, captés, fabriqués spécialement. Une forme d’artisanat doublé de nouvelles technologies du son (enregistrement et mixage en binaural) pour une restitution en trois dimensions, une autre forme de réalité augmentée. Une fois l’application téléchargée, les sons se déclenchent en fonction du déplacement de l’auditeur, sans nécessité de borne : il n’y a plus qu’à se laisser porter sur le parcours.
Avec la crise sanitaire, le son est monté d’un ton : le secteur est investi par toutes sortes de productions, l’heure est à l’écoute intensive. « Nous nous inscrivons pour notre part dans des recherches et un savoir-faire ancien — la spatialisation du son date des années 1950…— à une époque où tout le monde est hyper-équipé, mais sans les références… ce qui s’entend. » Le studio se met au service de domaines viticoles, de musées, de collectivités locales, il imprime un style, avec un protocole et des temps de validation, pour une autre forme d’oreille absolue : celle qui relie en confiance l’émetteur et le récepteur.