Accueil BIEN aimé Elles font l’art, pas des manières

Elles font l’art, pas des manières

(Épisode 1) Elles font l’art en Nouvelle-Aquitaine, et d’abord en Dordogne. Isolées, le plus souvent, tout-entières tournées vers leur passion, rarement en capacité de partager avec d’autres créatrices de tous horizons culturels... Des déjeuners à haute voix ont l’ambition de les réunir pour échanger sur leur métier et leur quotidien, à l’initiative de Véronique Iaciu.

Véronique Iaciu, directrice artistique du festival du Périgord noir que préside Jean-Luc Soulé, est passionnée d’art, d’architecture, de design et de musique. S’intéressant à ses semblables femmes qui évoluent dans la sphère culturelle, elle a souhaité les réunir dans un collectif de créatrices, en marge du festival, en prévision du 40e anniversaire de celui-ci. Le programme de partage de réflexions et témoignages s’est ouvert avec un déjeuner à voix haute, dans la maison de famille (1676) d’Anick Chevalier, trésorière du festival, face au château de la Fleunie, à Condat-sur-Vézère. Assagie après un métier-passion auprès des chevaux — pas ceux à l’oreille desquels on murmure mais des sportifs accomplis qui bousculent une vie entière, celle de cavalière de concours et d’instructrice d’équitation —, Anick cultive le goût des autres en accueillant ses hôtes.

© Suzanne B-Tartarat

Rassembler des problématiques de femmes, faire émerger des questions et des solutions par delà les générations, sortir de l’ombre des expériences qui fonctionnent déjà, mettre en réseau des énergies et des solidarités féminines : c’est l’ambition de ce collectif. S’appuyant sur une étude de la SACD de 2016 pour lancer un tour de table, Véronique a eu envie de savoir ce qu’il en était en Périgord et, bientôt, en Nouvelle-Aquitaine. « Ce collectif a vocation à croiser les regards dans plusieurs domaines, avec des référents, pour coconstruire et rayonner au-delà de l’univers du festival. » Ce jour-là, une réalisatrice, une professionnelle de l’édition, une sculptrice, une auteure-journaliste répondent à l’appel d’Anick, Véronique, et Faustine, jeune chargée de communication du festival. Le cercle s’élargira par marrainage, l’idée étant de multiplier les témoignages et de les mettre en perspective, d’enrichir le débat au fil des rencontres pour aboutir à un temps fort dans le programme anniversaire, l’an prochain.

Questions de ruralité

Femme artiste dans un territoire isolé, est-ce un plus ou moins ? Le cliché de la créativité foisonnante en milieu rural est-il tenace ? La région habite-t-elle ces artistes comme elles l’habitent en retour, est-ce par facilité ou par appétence ? Est-ce plus facile ou moins que dans leurs vies citadines précédentes ? L’influence parisienne y est-elle perceptible ? La valeur “locale” a-t-elle son importance dans la reconnaissance d’un talent ou d’un niveau ? La ruralité condamne-t-elle à l’éphémère ou au seul amateurisme éclairé, avec les encouragements de responsables locaux qui attendent que le terrain soit toujours occupé au nom de l’animation de territoire ? Pour Véronique Iaciu, il est parfois difficile de propulser les meilleurs éléments de conservatoires locaux au niveau attendu par le public d’un festival qui promeut l’excellence et un haut niveau de performance.

La non-mixité a été choisie pour ce réseau de femmes “qui se parlent”, autour de thèmes ”qui leur parlent”, et ceci sans parti-pris revendicatif. « Rien ne vaut l’action », souligne Vinciane Tribot, créatrice métal dont le chemin artistique passe aussi par la photographie et le dessin. « Chaque époque a ses avancées, les femmes ont assez à envisager : il faut le faire. »

Vinciane, métal vivant

© S.B.T.

Vinciane (prénom trouvé par son père dans un livre pour enfants, plus visible avec la notoriété de la philosophe des sciences Vinciane Despret) a grandi en milieu rural dans les Deux-Sèvres et s’est installée en Périgord il y a 16 ans après des études d’arts plastiques, où elle a aimé acquérir les techniques et les esthétiques académiques. « J’ai passé huit ans à Bordeaux, puis cinq à Toulouse, si j’y étais restée je n’aurais pas pu créer comme je le fais. À Toulouse, je faisais de l’illustration pour enfants, un monde de désert avec un dromadaire. Je montais du sable dans mon appartement pour des scènes de dunes. Ici, mon travail de botanique et de faune est à portée de regard, j’observe les rapaces, faucon pèlerin ou hibou grand-duc. » Rompue à la surveillance et au comptage des oisillons, bénévole à la LPO, elle s’attache à les dessiner et, bientôt, les sculpter.

Travaillant avec zéro subvention, elle se dit libre de tout dossier administratif, « je reste très autonome ».  Sa vie répond à des contraintes et à des horaires qu’on ne perçoit pas forcément de l’extérieur : non, la vie d’artiste ne signifie pas une disponibilité permanente. Le respect de cette vie n’est peut-être pas si différent de la considération portée à une femme. « Le temps varie pour un artiste. Je souffre d’un certain isolement et j’aimerais échanger plus souvent avec d’autres, locaux ou pas. L’éloignement géographique est un obstacle dans le département, on se voit surtout lors des vernissages. Mais c’est vrai qu’on a aussi besoin de solitude. » Son isolement relatif tient aussi aux bruits et odeurs associés à sa pratique : elle n’a ainsi pas pu accepter la proposition de Terrasson d’occuper une des belles échoppes rénovées dans la ville ancienne.

Épisode 2 : Béatrice transforme la littérature en festival

De la dentelle avec des outils de forgeron

© Pilfer

L’atelier Pilfer est né en 2011 pour transformer les promenades dans la nature de Vinciane Tribot en fabuleuses hybridations, botanique métallique forgée par son imagination autant que par ses mains. Hors son atelier, on la retrouve en forêt, dans une contemplation de la faune et la flore sauvage, mais son inspiration puise aussi dans les jardins maîtrisés par l’homme. Sculptrice plus que ferronnière d’art, elle s’intéresse moins à la couleur qu’aux formes et lignes végétale, à l’alliance du fort et du fragile, de la rectitude et de la souplesse, dans une grâce antagoniste. « C’est le moment juste après la floraison qui m’attire, quand la plante a fait son boulot de plante, quand les pollinisateurs sont passés et qu’elle libère ses graines pour se reproduire et mourir… Mon travail commence à ce moment, qui marque plutôt un désintérêt pour la plupart d’autres regards. » Elle crayonne et collecte, constitue des herbiers imaginaires pour garder à la fois une quintessence et une luxuriance, à la manière des cabinets de curiosité de la Renaissance, période qu’affectionne celle qui a aussi été guide au château de Losse. …

Passion sauvage

Vinciane fabrique donc de la dentelle avec des outils de forgeron : forge, poste à souder, découpeur plasma. C’est avec émerveillement que l’on suit ce qui la guide, depuis les prises de vue qu’elle saisit au cœur des pistils ou des écorces, jusqu’à la torsion du fer qui leur fait écho. Elle aime expliquer les métiers du feu et du fer, évoquer l’histoire des “fèvres” (ancêtres des orfèvres) nomades au Moyen Âge. Rien d’étonnant de la retrouver avec son équipement de forge mobile dans la forêt de Brocéliande. Les lignes d’ornementation qu’elle cultive la conduisent aussi à travailler dans l’esprit des artistes de l’Art nouveau, pour s’emparer d’usages familiers comme les girouettes ou les décapsuleurs, accessibles à tous les publics. Herbes folles, mauvaises graines, volubiles ou éphémères, tels sont les chapitres de ses créations…