Accueil BIEN ensemble La justice restaurative : portrait d’une juriste à France Victimes

La justice restaurative : portrait d’une juriste à France Victimes

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JUSTICE. HUMANISME. Après avoir exercé en tant que juriste en entreprise pendant de nombreuses années, Mélanie PRESAT s'est reconvertie au mois de septembre comme juriste à France Victimes. C'est là qu'elle a décidé de se former à la justice restaurative, une approche complémentaire à l'aide qu'elle apporte quotidiennement aux victimes.

La justice restaurative consiste à faire dialoguer, avec l’aide d’un médiateur neutre et formé, une victime et un auteur, pour aider à la reconstruction de la victime, et à la responsabilisation de l’auteur. Mélanie est la seule juriste formée à la justice restaurative dans l’association où elle travaille, et même au sein de la Dordogne. Pauline VIOT, occupant anciennement son poste, a quitté la région pour aller travailler à l’Institut Français de la Justice Restaurative (IFJR).

 

Ramener de la psychologie et de l’humain

Mélanie a suivi un Master 2 intitulé « Mode alternatif des règlements et des conflits ». C’est là qu’elle a pu découvrir une autre façon d’aborder la justice. « On a beaucoup étudié le système canadien. Et ce qui en résulte, c’est qu’en France, il manque une dimension psychologique au procès ».

La justice restaurative permet donc, par rapport à la justice classique, d’aller plus loin, dans une dimension plus psychologique, pour laisser toute la place à la personne, qu’il s’agisse de l’auteur ou de la victime.

La complémentarité avec le métier de juriste

« Le fait de travailler en lien avec des victimes mais d’une autre façon, c’est hyper enrichissant. Quand on est dans son rôle de juriste, ce n’est pas du tout la même chose que quand on est animateur. Là on sort du coté juridique, et on rentre dans la psychologie de la personne ».

Pour Mélanie, les bénéfices sont nombreux. Cet univers riche en découvertes lui permet d’évoluer un peu plus chaque jour. « Ce qui m’a beaucoup ouvert l’esprit, c’est d’animer les ciné-débats et de voir les visions très archaïques des choses qui pouvaient ressortir chez certains. Pour eux, l’auteur ne peut pas avoir une démarche authentique, c’est le prisonnier intelligent ».

Mélanie PRESAT ©Lise Petitbreuil

Pourtant, même si tout le monde ne peut pas le comprendre, cette démarche reste sincère « tout être humain peut faire preuve d’intelligence à un moment donné, prendre du recul sur sa situation, et vouloir changer ».

 

Des qualités d’écoute, de bienveillance… et d’impartialité 

Pour devenir animateur de ces rencontres, certaines qualités sont clés. « La base c’est d’être à l’écoute de manière inconditionnelle et de faire preuve de bienveillance, puisqu’on reçoit aussi bien des auteurs que des victimes. J’aime bien dire qu’il faut se mettre en mode avion, poser de côté tous nos jugements, toutes nos idées préconçues. Juste écouter la personne, et tirer la ficelle qu’elle nous tend. »

« On doit être « impartial », accompagner autant l’un que l’autre, et être un soutien pour les deux ».

 

Sécuriser la rencontre…

Sécuriser la rencontre, c’est essentiel pour entamer un processus de JR. Rappeler à chacun qu’à tout moment il est possible d’arrêter, ou encore qu’il n’y a rien à gagner d’un point de vue juridique, le seul but étant de créer un espace sécurisé pour parler.

« Ca permet d’éviter que les gens se revoient en dehors sans être accompagnés. »

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Sécuriser la rencontre, c’est aussi enlever les attentes, pour empêcher une potentielle déception; « on ne peut pas garantir aux gens que ça va leur faire du bien. D’un côté comme de l’autre. On leur explique qu’ils n’auront pas forcément les réponses qu’ils souhaitent entendre, car parfois l’autre ne les a tout simplement pas ».

C’est ce qu’on appelle la scénarisation. Pour éviter d’être déçu, ou surpris. « On va essayer d’anticiper toutes les réactions, par exemple la colère. Si la personne nous dit que quand elle est énervée elle casse tout, la rencontre ne sera pas possible ».

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Une rencontre aboutie, ça ressemble à quoi ? 

Tout aura été scénarisé à l’avance. On aura demandé à la victime : « Est-ce que vous voulez qu’il vous dise bonjour, qu’il vous serre la main, qu’il soit menotté ? », pour laisser le moins possible de part d’inconnu.

« Le jour de la rencontre si on a bien fait notre travail, les personnes s’installent. Nous, notre rôle c’est de laisser l’explication se faire, rester en retrait, et intervenir seulement s’il y a un débordement. La colère ne sera pas forcément négative. »

Mais la rencontre n’est pas une fin en soi, ce qui compte, c’est le chemin pour y arriver. Les entretiens préalables permettent déjà un dialogue. « Il est tout à fait possible que la personne dise finalement « ça fait 5 fois qu’on se voit, j’ai eu mes réponses ». Parfois c’est suffisant. La rencontre est facultative, puisque ça peut mettre en difficulté plus qu’autre chose.

« Une mesure aboutie peut ne pas être une rencontre », ajoute Mélanie.

Le procès : un espace de dialogue restreint

Nombreuses sont les victimes qui attendent beaucoup du procès, mais souvent, c’est la déception : « Je n’ai pas pu prendre la parole, j’ai pas eu les réponses à mes questions ». Les auteurs aussi peuvent ressentir cette frustration. L’impression de ne pas avoir eu assez la parole. « Même s’il y a une plaidoirie pour les défendre, ça ne sera jamais leurs mots. Il y a des questions qui restent en suspens ». Pour Mélanie, le procès est surtout là pour que l’accusé réponde à des questions, et non pas pour qu’il en pose. Finalement, « le but est de déterminer la culpabilité. Le reste (surtout la victime) a peu de place ».

« On met la lumière sur les avocats. Leur rôle est d’arriver à retranscrire le point de vue de chacun, et que la condamnation réponde à leurs attentes. Mais la conséquence de cet effacement aussi bien de la victime que de l’auteur, c’est qu’ils ne s’adressent pas directement la parole ».

C’est déjà compliqué de parler de ses ressentis devant tout le monde (magistrats, avocats, familles), mais en plus, le procès n’est pas fait pour étaler les sentiments de chacun.

« Je partage la frustration des auteurs et des victimes quand le procès n’est pas le point de chute qu’ils espéraient. Ils attendent beaucoup de ce moment. Et souvent c’est la douche froide. Une victime m’avait dit une fois « je n’ai pas pu lui dire quelque chose, moi ». C’est dur de se dire que le procès ne répondra pas à nos questions. »

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Inscrire la justice restaurative dans le procès, oui ou non ?

« A l’heure actuelle, cela ne pourrait pas être intégré dans le procès. A titre personnel je pense que c’est possible, mais il faudrait revoir tout le système depuis le début donc la justice restaurative est plutôt là en suivant, à côté de la réponse pénale. Même si idéalement ce serait bien que ça intervienne avant ».

« Si le procès pénal laisse des questions en suspens, la justice restaurative, elle, permet de venir y répondre ».

 

Faire baisser le taux de récidive…

« Le but de la JR, ce n’est pas de baisser la récidive. Ce n’est pas sa raison d’être, même si ça y contribue naturellement. Le but c’est d’offrir à des personnes un espace de dialogue qu’elles n’ont pas forcément eu avant. Mais les chiffres prouvent que ça y fait, oui. »

Qu’avez-vous pensé du film « Je verrai toujours vos visages » ?

« Je trouve le film très réaliste, je le qualifierai même de documentaire. Il est très juste. En base, et en explication de la justice restaurative, il n’y a pas mieux. J’avais essayé de parler de la justice restaurative à mon compagnon et c’était très flou pour lui. A la fin du film tout était beaucoup plus clair. Ca permet d’éclaircir le sujet, en plus de le démocratiser. »

 

Une mesure qui prend de l’ampleur 

« Ça décolle un peu. Côté auteur ça avait déjà décollé avant. Mais il n’y avait pas assez de victimes pour répondre à la demande. Depuis le film, les choses ont décollé aussi du côté des victimes, c’est encourageant ».

« Ça commence à se structurer de plus en plus en France, il y a de plus en plus de demandes. Si un jour un pôle se crée avec des personnes qui ne font que ça, ça pourrait même devenir un métier. »

 

Un processus souvent entamé par l’auteur 

On pense souvent que la démarche vient des victimes qui ont besoin de réponses, de parler. En réalité, les personnes en détention sont enfermées, et ont plus du temps pour réfléchir. Le cheminement est donc parfois plus rapide de leur côté. Elles peuvent aussi avoir besoin de rencontrer les victimes pour mieux comprendre les conséquences de leur acte, ou pour dire quelque chose qu’elles n’ont pas pu dire avant, parler de leurs sentiments. Ou simplement prendre des nouvelles, quand l’infraction s’est déroulée dans le cercle intra familial.

 

D’autres pays inspirants ?

Au Canada, la justice restaurative est beaucoup plus ancrée dans la culture. Ça s’explique par le fait que tout leur système repose sur cette pensée : l’envie d’aller au maximum vers une déjudiciarisation. « Il y a une réelle différence au niveau de la mentalité, il y a une volonté culturelle de résoudre les choses sans vouloir aller forcément jusqu’au procès ».

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Là-bas plus besoin d’expliquer ce qu’est la justice restaurative, c’est acquis.

 

Un mot pour la fin 

« Je suis convaincue par la justice restaurative, je pense qu’il y a beaucoup à faire, qu’on peut aller vers de belles choses en termes de reconstruction, pour aider les gens à reprendre un semblant de vie normale, du côté des auteurs, tout autant que de celui des victimes ». Des dernières paroles encourageantes pour la suite, qui laissent présager une justice plus humaniste pour les décennies à venir…

©Lise Petitbreuil