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Portrait d’un avocat pénaliste

©Maëlle Girard
JUSTICE. AVOCAT. Maître Hammouche est un jeune avocat de 33 ans. En exercice depuis 2018, et se consacrant très vite exclusivement à la matière pénale, ce jeune conseil s'est installé à son compte depuis 4 ans. On a voulu en savoir plus, sur cette passion qui se cache derrière des dossiers criminels. Retour sur le portrait d'un défenseur, juriste, orateur, humaniste ; un regard intimiste sur un homme de loi.

Après un cursus classique à la fac de droit de Périgueux, puis un Master “droit pénal carrière judiciaire” à Bordeaux, Reda Hammouche intègre l’Institut d’Etudes Judiciaires pour préparer l’examen d’entrée à l’école d’avocat. « Je suis rentré à l’école, puis pendant 2 ans, j’ai alterné entre stage en cabinet, cours de droit, plaidoirie… ».

Pourquoi avocat ? 

« C’est une passion depuis le collège. Mon frère était gendarme, et une partie de ma famille travaillait dans la justice à l’étranger. Comme une atmosphère judiciaire qui régnait à la maison… Puis j’ai commencé à creuser par moi-même, avec des lectures, des films. Et il y a eu ce documentaire, l’affaire Patrick Dills. Ça a été un peu comme un électrochoc, j’aurais aimé être le défenseur de ce jeune homme. J’ai été touché par son histoire. Il a subi des viols en prison, alors qu’il était innocent… C’est là que j’ai réalisé les dangers d’une justice sans défense, les dérives d’un système. Qu’on peut facilement envoyer en détention un adolescent, sur ses seules déclarations. Lui mettre la pression au point qu’il  avoue quelque chose qu’il n’a pas fait. C’est fou de voir que le destin d’un jeune se joue sur si peu de choses, et d’une façon aussi grave. Ça m’a fait réaliser que c’est primordial d’avoir des hommes et des femmes qui fassent barrage. Être une digue, entre la machine judiciaire et un homme ».

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Votre rôle, éviter les erreurs judiciaires ?

« Il y a les cas où la personne est innocente et où l’on doit se battre pour éviter qu’une injustice soit commise. Pour le reste, le but c’est que la sanction soit la plus juste possible, qu’elle soit individualisée en fonction de qui on a en face. J’essaye d’amener les juges et les jurés à comprendre intégralement la personne qu’ils jugent, aller au fond des choses, contre les raisonnements prêt-à-penser ».

Comment plaide-t-on la défense de quelqu’un qu’on sait coupable ? 

« Je ne plaide jamais des choses auxquelles je ne crois pas. Généralement, j’essaye d’exploiter les failles du dossier, pour que le doute profite à l’accusé. Mettre en évidence ce doute qui plane et qui fait qu’on ne peut pas condamner une personne si l’on n’est pas convaincu de sa culpabilité. Mais si mon client reconnait les faits, dans ce cas, je vais essayer de remettre les choses dans leur contexte, pour que les juges puissent percevoir sa part d’humanité. Ne pas juger seulement en droit. Juger aussi les faits, tous les faits, l’histoire qui se noue autour. Tout le monde a le droit d’être défendu, dans sa complexité et ses failles ». 

C’était comment les premières années en tant qu’avocat ? 

« Un mélange d’excitation, de satisfaction de pouvoir enfin exercer de façon pratique, et en même temps de stress parce qu’on a pas encore l’expérience qui permet d’être sûr de soi, de se sentir légitime. Quand on ébauche une stratégie, qu’on rédige un acte, on veut que ce soit parfait. Être rassuré par ses pairs, être validé. »

©Maëlle Girard

Et aujourd’hui ?

« J’ai toujours une vigilance extrême à chacun de mes actes mais avec davantage de confiance. Je m’accorde une crédibilité que je n’avais pas quand j’ai commencé. Tout simplement parce que quand on démarre, on n’a pas encore le bagage de l’expérience derrière soi. Les succès procéduraux aident à prendre confiance en nous. Maintenant je sais que je n’ai plus nécessairement besoin de consulter pour me rassurer au moment de trancher ».

« Les discussions avec mes confrères ou avec les magistrats de Périgueux permettent aussi de nourrir ma réflexion. D’ailleurs c’est une vraie chance de travailler dans une petite juridiction. Je voyage beaucoup, et dans les grands tribunaux comme Bordeaux ou Lyon, il y a beaucoup d’intervenants. C’est presque impossible d’être dans un rapport individualisé. Périgueux, c’est à taille humaine. C’est très précieux cette proximité. Il y a une vraie confiance qui règne ». 

Vous vous rappelez de votre première audience ?

« Oui, c’était une audience correctionnelle. J’étais très stressé, je ne voulais rien laisser passer. Je me souviens que j’avais appris ma plaidoirie par coeur. En fait, je n’avais pas cette liberté à laquelle je suis parvenu maintenant : réussir à avoir des idées posées, claires, tout en laissant place à la spontanéité. C’est vrai qu’en y repensant, ça aussi c’est quelque chose qui a changé entre le début et aujourd’hui. Je me sens vraiment libre, en phase avec ce qui se passe à l’audience. L’audience c’est quelque chose qui se vit, qui est mouvant, donc même si j’ai une structure en tête, je m’ajuste aux rebondissements, aux imprévus. À la vie, finalement. »

©Maëlle Girard

 Quel est votre meilleur souvenir ?

« C’était un dossier où le client me jurait qu’il n’avait rien fait, mais où sa culpabilité semblait établie par les éléments du dossier. Moi, je le croyais. C’était quelqu’un de touchant, sa maman aussi. J’avais une seule idée en tête : prouver son innocence. En exploitant les failles du dossier, j’ai réussi à démontrer qu’il était innocent. Et il a été relaxé. Ce jour-là, c’était un de mes plus beaux souvenirs, parce que j’ai senti que j’avais participé à quelque chose de juste : on avait empêché de mettre un innocent en prison ».

La plus belle audience ?

« C’était il y a quelques jours à la Cour d’assises de la Sarthe au Mans : je défendais un jeune homme pour des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Il reconnaissait avoir commis ces violences. Il était totalement sincère et avait d’ailleurs refusé de demander une remise en liberté pendant sa détention provisoire, par respect pour la famille. Il a présenté ses excuses au père, lui a dit que son fils était quelqu’un de bien et qu’il ne méritait pas de mourir. Quand ça a été mon tour de poser les questions, j’ai demandé au père : « vous ressentez de la haine ? », et il a simplement répondu : « non, la haine n’est pas rentrée dans mon coeur, et elle ne pourra pas ramener mon fils ». J’ai trouvé que c’était fort, digne. On avait une rencontre de dignités qui faisaient qu’on était dans un moment très intense ».

La pire audience ? 

« Je défendais un client devant la Cour d’assises pour des faits qui avaient été reconnus, des faits particulièrement difficiles. Mon client n’arrivait pas à en parler, il s’était complètement renfermé. Pour l’aider, je lui pose la question : « est-ce qu’on peut simplement convenir que la victime a particulièrement souffert ? ». On avait travaillé l’audience pendant quasiment un an. Mais face à cette question, comme il se sentait montré du doigt, qu’il y avait beaucoup de pression, et une absence de compréhension de sa vie, il a simplement répondu : « non ». C’était le pire moment que j’ai vécu en audience car ça foudroie l’avocat qui a préparé pendant autant de temps le procès, et surtout, c’était totalement à rebours de ce qu’il pensait. Il avait vraiment honte de ce qu’il avait fait. C’était une manière pour lui de dire que la cour n’avait pas cherché à comprendre qui il était. C’était une réaction sous l’émotion, en contre-attaque.

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Mais le problème, c’est l’effet que ce genre de déclaration peut avoir devant des jurés d’une Cour d’assises. À cause d’une réponse irréfléchie, sous la colère, on passait à côté du coeur du sujet : il était conscient des choses qu’il avait faites. Ça change tout, parce que ça veut dire que tout n’est pas fermé pour l’avenir, qu’il est capable de se remettre en question. Or en disant ça, ça donnait une image alarmante pour les jurés, celle que la réinsertion n’est pas possible pour un garçon comme ça. Alors que si, c’était le cas… »

Est-ce habituel pour les accusés de réagir de cette façon ?

« Les accusés attendent aussi que ce soit leur procès. Ils sont touchés quand l’avocat parle de leurs souffrances vécues, car c’est le seul moment où on s’intéresse à eux, qu’on parle d’eux en positif et avec sincérité. Ils ont besoin de cette reconnaissance. Donc quand à l’audience ils ont l’impression que la cour ne prend pas leur passé, leurs cassures, mais aussi parfois leurs efforts en considération, ils peuvent se refermer. C’est là qu’ils peuvent malheureusement développer une haine du système judiciaire, cette sensation d’être incompris. Et à partir de là, c’est l’amerture qui parle à leur place. On en arrive pas à commettre des faits comme ça, par hasard. C’est qu’il y a eu des ratés dans le parcours de la personne. Sans être dans un déterminisme absolu, quand on a un entourage aimant, du soutien et un peu de moyens, en général ça se passe un peu mieux dans la vie que pour quelqu’un qui part avec des humiliations sociales, ou des traumatismes infantiles et qui a clairement plus de chance de mal tourner ». 

Avez-vous déjà pensé à arrêter ? Pourquoi ? 

« Jamais. Parce que c’est un métier de vocation. J’ai toujours voulu être avocat aussi loin que je me souvienne. Et je me sens privilégié d’exercer quotidiennement un travail qui prend aux tripes, où l’on est acteur des décisions qui concernent l’avenir d’un être humain. Et malgré toute la dureté de ce métier et quelques désillusions, j’en apprends chaque jour un peu plus, toujours avec autant de passion ». 

Quelles sensations avez-vous lorsque vous plaidez ? 

« Quand je plaide, les premières secondes sont des secondes de grande tension, douloureuses. Mais très rapidement quand le propos introductif est posé, ça devient quelque chose de grisant. L’anxiété laisse place à l’excitation. Il y a une volonté obsédante de réussir la démonstration, c’est quasiment guerrier. C’est comme une lutte, je suis là pour gagner sauf que gagner dans ce contexte-là, ça s’appelle convaincre ».

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« Il y a souvent des heures de travail en amont du procès, parfois des nuits blanches. C’est un moment où il y a beaucoup d’enjeu, c’est un stress viscéral : toute notre démonstration se joue là ».

Est-ce qu’il vous arrive de vous ennuyer pendant un procès ? 

« Non, jamais, il y a toujours quelque chose qui retient mon attention. Parfois ce sont des choses qui peuvent paraître anecdotiques mais qui, moi, m’intéressent. Ça peut sembler accessoire : un trait de caractère, un souvenir, un moment. C’est d’ailleurs souvent là que je vais capter une remarque sur le parcours de mon client, une sensation, qui pourra résumer son état d’esprit plus tard, au moment de la plaidoirie ». 

Est-ce que l’accusé doit être présent à l’audience ? 

« Par principe, oui. Après, il y a des cas spécifiques où il est possible que la personne soit représentée par son avocat. Mais moi, je dis toujours à mes clients d’être là. J’insiste sur ça parce que ce qui intéresse la cour ce n’est pas l’explication de l’avocat. C’est avant tout le procès de l’accusé. C’est essentiel qu’il soit là. Nous on est les maîtres de la stratégie, les porte-parole de celui qu’on défend. « Avocat » ça signifie d’ailleurs « celui qui porte la voix ». On est là pour ça, porter cette voix avec le mandat que la personne nous donne. Mais c’est important qu’elle puisse aussi s’exprimer elle-même. C’est une question d’authenticité : on n’est pas les acteurs des faits qui ont conduit au tribunal. Le droit à un procès équitable, c’est pour l’auteur, pas pour l’avocat. »

Le procès est-il le moment que vous attendez le plus ?

« Pour moi, un dossier couronné de succès ne va pas au tribunal. La phase d’enquête policière et la phase d’instruction sont fondamentales. Je suis très souvent acteur dans ces phases-là. Le procès c’est un moment très solennel car toute l’oralité reprend sa place, avec la plaidoirie notamment. On a l’impression que tout se joue à ce moment-là mais finalement, le procès n’est que l’aboutissement des phases sous-terraines qui précèdent, et qui elles, vont beaucoup jouer sur la qualification des faits ».

©Maëlle Girard

Quel est votre rôle pendant la phase d’enquête / instruction ?

« J’ai plusieurs missions. Je vais assister mon client pendant les divers interrogatoires, et au travers des questions que je pose, je vais essayer de donner d’autres pistes de réflexion au magistrat. Je vais aussi chercher des éléments de preuve à décharge. C’est le jeu des demandes d’actes (audition, confrontation, contre expertise…). Le but à ce stade, c’est par exemple d’obtenir un non-lieu ou une requalification des faits plus souple (comme la correctionnalisation d’un dossier). Arriver à influencer la réflexion du magistrat pour qu’à la fin de l’instruction il puisse avoir un autre regard sur le dossier. Qu’il voie que les choses ne sont pas aussi pré établies que ce que montre l’enquête policière. Toutes les demandes d’actes sont vraiment déterminantes à ce stade. »

Qu’est ce que vous aimez dans votre métier ?

« Il y a plusieurs choses. L’émulation intellectuelle, la technicité de la procédure, et ce qui fait le matériau de ce travail, l’humain. Parce que pour être avocat pénaliste, il faut aimer l’humain. J’aurais pu m’épanouir comme avocat civiliste car j’aime chercher, fouiner, mais je ne suis vraiment heureux que quand je fais quelque chose qui me passionne. Et c’est le cas de la matière pénale, ça me fait vibrer. »

Si vous deviez changer une chose dans ces 6 dernières années, ce serait quoi? 

« Rien du tout. Même les moments difficiles, les erreurs, c’est ce qui a contribué à la personne que je suis aujourd’hui. Je bénis autant les satisfactions que les épreuves. J’aurais tout fait pour m’en sortir quand ça n’allait pas, mais aujourd’hui, c’est indéniable, ça a façonné l’avocat que je suis. Souvent dans ces moments-là on n’a pas assez de recul, la clé de compréhension des choses vient après. Et avec le recul ça prend du sens. Un parcours sans embûche, ça n’existe pas. Et les épreuves, ça permet aussi de rester connecté à la réalité ».

©Maëlle Girard

Êtes-vous avocat commis d’office ?

« Oui, je continue de le faire même si j’ai moins le temps car les dossiers où j’ai l’honneur d’être choisi sont de plus en plus nombreux. C’est un très bon exercice, ça permet d’acquérir de la variété dans ses dossiers. Notamment avec les dossiers de comparution immédiate car on a un temps très resserré : on prend connaissance du dossier quelques heures avant la comparution de la personne, c’est très formateur. »

Vos projets ? 

« J’ai envie d’aller partout en France, et parce que je suis passionné par la matière criminelle, pouvoir fouler le sol de chaque Cour d’assisses. Essayer de traiter le plus de dossiers différents aussi. Et me challenger. Sortir de ma zone de confort, me renouveler tous les jours. Pour étoffer. Tout ce qui me permettra de me perfectionner toujours plus. Développer d’autres types d’argumentations, auprès de nouveaux magistrats, donner plus d’ampleur, plus de variations. »