Face aux mutations sociales, aux jeux de pouvoirs, et à l’essor d’une économie monétaire prenant le pas sur l’économie réelle, elles ont su discerner, expérimenter, innover. En restant solidaires, elles ont tracé leurs chemins propres dans un environnement complexe et en proie à des clivages multiples.
C’était au XIIIe siècle, ce pourrait être aujourd’hui.
Femme, dissident, différent, étranger, autre, nous restons confrontés à la responsabilité de faire de la contrainte un instrument de liberté, et de devenir un être de réponse : une force de proposition et de création. »
Constellation poétique
Jany Pons Ballester assure le chant lyrique a capella et le récit tandis que Nancy Boissel danse le fil du spectacle. Catherine Lippinois a conçu les sublimes pectoraux qui ornent les intervenantes, conceptrice d’œuvres de plumes en terre, des lichens et de plantes, de baies, de vesses de loup, de traces naturelles ou organiques portant l’humanité tout entière. Conçu sur la trame des prières qui rythment la journée, des vigiles nocturnes aux complies, en passant par les laudes et les vêpres, le voyage spirituel guidé par la force d’Hildegarde de Bingen accompagne le public jusqu’à la nuit noire du 14 avril 2013 lors de laquelle disparaît la dernière Béguine.
Estelle Guihard porte sur l’ensemble un « regard extérieur » qui lie cette approche mystique, poétique et plastique dans une pureté d’émotion, un dépouillement qui prévaut aux autres spectacles de la compagnie Keruzha, née en 2015 et transporte dans son aventure une foule de talents, engagés en coulisses, mais présents dans la sensibilité générale des spectacles qui naissent de cette alchimie.
Béguines ?
« Les Béguines sont les habitantes des béguinages : des lieux clos qui permettent, dès le Xe siècle, l’association libre de femmes de tous âges et de toutes conditions dans le but de vivre en communauté, de s’entraider, de se ressourcer. Ces femmes ne sont pas nécessairement religieuses, certaines sont veuves ou célibataires, d’autres ont des enfants. Les migrantes, pauvres, ne
sachant pas où aller… vont chez les Béguines. Ce qui les rend toutes égales est l’habit qu’elles portent à l’extérieur du béguinage : un long manteau de camelote grise. »
Fonctionnement démocratique avant l’heure, indépendance économique et autonomie de gestion, circulation des idées et quête du savoir : les principes des Béguines avaient une longueur d’avance et ne pouvaient qu’indisposer les pouvoirs de l’époque. L’Église leur reproche de n’obéir ni à un prêtre ni à un époux…L’Inquisition sera la plus forte.