Accueil BIEN aimé Un récit plein d’esprit et de spiritueux

Un récit plein d’esprit et de spiritueux

© Fanlac - Louise Mézel
UN BON REMONTANT. Gauthier frère et sœur : l'aventure familiale et entrepreneuriale de la Distillerie de l'Òrt, à Montignac-Lascaux, est contée de manière peu conventionnelle par Loïs, revenu des distillations anglaises pour imprimer sa propre marque à cet art, en Périgord. Entre action et méditation, son livre diffuse l'énergie contagieuse d'une nouvelle génération qui a choisi de vivre ici. À fond.

C’est un carnet de bord qui sent bon les rêves à réaliser et les souvenirs d’enfance, ceux qui donnent envie de revenir en Périgord, et qui serrent aussi le cœur, quand l’un des principaux personnages, le père, n’est plus, et que l’autre, la mère, vit à l’autre bout du monde. Loïs Gauthier a appris la distillation en Écosse et a choisi de quitter l’Angleterre quand son métier a basculé dans la production de gel hydroalcoolique, pendant le Covid : avec sa sœur Nolwenn, ils décident d’aménager une distillerie dans l’ancienne ferme des grands-parents, à Montignac-Lascaux. Sous la plume agile de Loïs, le lecteur parcourt les affres de la création d’activité sous un angle moins policé que les discours consulaires habituels sur l’entrepreneuriat et le business plan : les deux milléniaux à la tête bien faite, présidente et directeur général de leur toute nouvelle société, foncent tête baissée vers des étapes qu’ils n’imaginent pas, situations cocasses et rencontres formidables dans ce coin de pays où l’on trouve des grottes comme on trouve des truffes.

Malice et miladiou

Alternant séquences sensibles — le souffle paternel à l’ombre des noyers —, observations lucides et rêves fous, avec de piquantes incises, le récit traverse les saisons, de l’arrivée au plus froid de l’hiver dans une maison figée dans l’absence, à l’hiver suivant et le sacré cycle de vie accompli entre deux. Avec en chapitre bonus, le retour sur un festival devenu réalité : un morceau de fraternité. La métamorphose de Fonfroide s’écrit avec les mauvaises surprises inhérentes à tout chantier, système D d’un déplacement de tuiles par palox, artisans bons et moins bons, arrivée de bouteilles un jour de pluie dans « un jardin punk », naissance d’un éden aromatique, premiers shoot d’alcool dans la grange mal ventilée. Avec quelques miladiou inquiets ou admiratifs du voisinage.

Le nom de ce hameau — Fonfroide, source froide en occitan — colle parfaitement à l’indispensable ingrédient de cette activité éclose par la grâce d’un dinandier voisin, parmi les plus réputés de sa corporation et pourtant fâché avec les moyens de communication : Alain Lagorsse, de Saint-Amand-de-Coly, a transformé le cuivre en une créature d’eau et de feu, l’alambic baptisé Félicie (à défaut du Pikachu initial) pour la félicité espérée et en hommage à l’arrière grand-mère. C’est le premier à fonctionner à l’énergie solaire.

Un chemin d’humanité

Lors de la remise du Trophée gourmand Dominique-Lavigne 2024 par le club de la presse d Périgord © SBT

Après le chantier et la mise au point des breuvages viennent l’heure de la commercialisation et de la couverture médiatique, les marchés de pays prometteurs, l’indifférence des professionnels en haute saison touristique, les rencontres inespérées (Le Petit Léon étoilé), les critiques qui font progresser, sans oublier l’anniversaire du cousin qui donne des envies de festival et la préparation de l’élixir pour le Concours général agricole.

Tout est parfaitement dosé, comme les combinaisons spiritueuses de l’auteur. Avec des séquences émotion — le vieux chat de Fonfroide, la mobilisation pour le festival, l’inspiration puisée dans la nature et au jardin, les souvenirs brassés en famille, la complicité active de tante Claire  — et un humour contagieux, les histoires de tiques ou de nœud tellurique, l’évocation d’une réunion des distillateurs anonyme, les relations frère-sœur ; et souvent une parfaite alliance des deux, la visite de touristes lors de son premier Covid et la prise de conscience de sa perte d’odorat et de goût, c’est-à-dire une partie de ses outils de travail, et tout le chemin pour re-sentir ; la réalité des anciens ados devenus parents, ou encore la découverte de la grotte de Bernifal lors d’une séquence hors du temps.

Tradition et innovation

Les anecdotes croustillantes s’enchaînent, des coulisses du « forcené du Lardin », fait-divers qui a occupé les environs lors des travaux à Fonfroide, aux rendez-vous avec les instances locales (une banquière, une comptable, une assureuse font du démarrage d’activité une affaire de femmes qui équilibre les séquences de travaux, plus masculines), en passant par le cap délicat du poinçon des Douanes. En découvrant l’ancrage de la Distillerie de l’Òrt dans l’exigence de qualité et l’innovation environnementale, les bouilleurs de cru ancestraux n’en reviendraient pas : le gin s’est fait une place en Périgord, le pastis aussi, sans oublier une vodka sur mesure pour le caviar Perle noire. Comme l’écrit Loïs Gauthier, « Être distillateur, c’est ça. C’est harnacher la mémoire et la mettre en bouteille ».

• Une distillerie sous les noyers, Loïs Gauthier, Éditions Fanlac, 18 euros

Ce dimanche 21 décembre, de 10h30 à 13h, à la librairie Les Ruelles, à Périgueux : rencontre-dédicaces avec Loïs Gauthier et dégustation de sa production de Gin et pastis de l’Òrt.