Un cadre champêtre, une ambiance zen
À la sortie de l’agglomération de Montignac-Lascaux, sur la route touristique de Saint-Léon-sur-Vézère et des Eyzies, on emprunte une petite route à droite : quelques tournants, des fermes anciennes et nous voici devant le portail sécurisé de la Résidence ABC qui accueille des retraités depuis septembre 2022. On s’approche de l’accueil et l’on entend le bruit d’une fontaine, insolite dans un tel lieu, comme sont surprenantes les allées qui bordent une halle, plantées d’arbustes et de fleurs. Derrière la résidence, après un potager et un poulailler (oui, un poulailler !), la colline boisée : nous sommes bien dans une résidence pour séniors à la campagne.
• Résidence “ABC”, le sigle est simple, il intrigue, mais encore ?

Marc Joly. On peut mettre plusieurs termes derrière ces initiales, mais j’ai pensé d’abord : A comme autonomie, B comme bien-être, C comme confort, convivialité.
• Quel a été le point de départ de votre réflexion pour penser un nouveau modèle ?
Les formules existantes ont été bâties par des groupes financiers soucieux de rendements, qui investissent dans ce « créneau » des séniors comme ils le font dans les autoroutes ou les “fermes à mille vaches”. Le rendement pour les promoteurs — c’est-à-dire les hommes d’affaires ou les sociétés — est assuré : la population vieillit, les personnes âgées ne vivent plus avec leurs enfants, ne peuvent plus (ou ne veulent plus) rester seules dans leur maison ou appartement. Il est nécessaire de les loger, de les nourrir, d’assurer des soins : ce sont des postes sur lesquels des économies sont parfois faites au détriment des personnes âgées. En janvier 2022, le livre d’investigation du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs, a dénoncé des malversations financières et des maltraitances dans des établissements d’un groupe financier. Les financiers promoteurs de résidences pour séniors n’ont construit jusque-là qu’en ville. S’ils ne remplissent pas les logements, après quelques modifications, ils les louent à une population plus large.
• Quel nouveau calcul avez-vous fait ?

Plutôt que de prévoir le pourcentage du rendement de sommes investies, je suis parti de ce que peut payer un retraité modeste. Qui en effet pourra payer 2000 € par mois, plus les charges et services, pour un studio dans quelques années ? J’ai donc eu envie de créer un autre modèle en partant d’un calcul à l’envers d’un compte d’exploitation : combien peut-on construire d’appartements avec un loyer de 1000 € pour un studio ? Combien de personnel, avec quel fonctionnement ? Il m’a fallu beaucoup de patience, la conviction de suivre un projet réalisable, la certitude de proposer des investissements sains pour, à la fin, obtenir des financements locaux, puis plus larges. Il a fallu 10 ans pour que, grâce à Périgord Développement, je puisse rencontrer des élus de Montignac et de Neuvic et des chefs d’entreprises qui se sont déclarés prêts.
• Quelles ont été les étapes de la construction pour la première résidence ?

On m’a proposé un terrain de 2,5 ha à Montignac et la voie d’accès à la résidence a été remise en état et, par ailleurs, la promesse d’un terrain à Neuvic-sur-l’Isle. Une dizaine d’entreprises ont travaillé une année à la construction de la résidence, 90 % d’entre elles sont établies en Dordogne, 95 % en Nouvelle Aquitaine. Les travaux ont pris sept mois de retard et il y a eu malheureusement quelques malfaçons, mais l’objectif écologique (construction en bois et matériaux biosourcés, panneaux photovoltaïques, récupération d’eau pour l’arrosage, compost, etc.) est pleinement atteint. Nous avons aujourd’hui 84 logements modernes, entièrement équipés et meublés, dont 43 studios, 13 T2 et 28 T1 bis, répartis entre un bâtiment principal et des petites maisons. Nous y accueillons en ce moment des séniors de 61 à 99 ans, avec leurs animaux de compagnie s’ils le souhaitent.
• Quel impact économique sur la commune et au-delà ?
La résidence a permis de mettre 8 millions d’euros H.T. dans l’économie du département et de créer une dizaine d’emplois sur place à plein temps. Chaque résident paie 1065 euros par mois pour un studio et, dans cette somme, sont compris l’eau, l’électricité, la climatisation réversible, le téléphone et le Wifi, avec en plus une navette qui conduit les résidents dans Montignac le lundi et le vendredi, et le jour du marché le mercredi. Ils ne sont pas très éloignés de plusieurs commerces, Intermarché, Aldi, boulangerie, presse. Un budget a été voté par la commune pour qu’un chemin soit praticable pour s’y rendre sans danger ; on attend son application.
• Parlez-nous un peu du restaurant et du programme d’animations

Le cuisinier travaille de 8 à 14 h pour le repas de midi (entrée, plat, dessert) confectionné avec des produits locaux et une parfaite traçabilité. Son prix n’est pas inclus dans le loyer mais il est très avantageux dans le cas d’abonnement mensuel (11 € par repas), sinon c’est 15 € à l’unité. Les visiteurs extérieurs, familles ou pas, y sont les bienvenus !
Dans le bâtiment d’accueil où se trouve le restaurant il y a des tables pour les joueurs de cartes, mais aussi une grande salle où l’on peut projeter des films, accueillir des spectacles, des conférences. À l’extérieur, la grande halle centrale est aussi un lieu important d’animations, de jeux, à la belle saison. Elle est utilisée pour des troupes extérieures, des chorales, etc. Il y a des animations tous les jours, y compris par des personnes extérieures à l’équipe interne.
• Deux ans et demi après l’ouverture à Montignac, quel est le bilan et quels sont vos projets ?

Avec un taux de remplissage de 80 %, nous pouvons être très satisfaits ! Le chemin a été long, il a fallu savoir convaincre, apprendre à faire distinguer cette résidence à la campagne des structures médiatisées et des Ehpad, intéresser les acteurs politiques du département. Le bouche à oreille et l’aide des médias ont été importants ; nous avons fini par avoir un flash télévisé de France 3 passé en Périgord, ensuite aux informations régionales puis nationales, ce qui a entraîné de nombreux appels. Depuis, nous avons des locataires venus d’un peu partout en France. Le quotidien Ouest France nous a alors consacré une page entière, mise ensuite pendant 15 jours en ligne, d’où l’émission « le coup de cœur » sur RMC. Maintenant nous sommes associés au Périgord, aux grottes de Lascaux, et connus en France… Je viens de signer le contrat de construction d’une nouvelle Résidence ABC à Neuvic-sur-l’Isle. L’aventure se poursuit !
Propos recueillis par Chantal TANET et Tristan HORDÉ