Bien qu’elle soit un peu oubliée, y compris dans sa Dordogne natale, Rachilde (1860-1953) a été en France une figure importante de la littérature à la fin du XIXe siècle. Elle est née Marguerite Eymery et a pris très jeune le pseudonyme de Rachilde. Sa vocation littéraire commence très tôt : à 15 ans, elle envoie une nouvelle à Victor Hugo qui lui répond et l’encourage. Un peu plus tard, elle vient à Périgueux, à cheval, et propose au directeur de L’Écho de la Dordogne une nouvelle (« La création de l’oiseau Mouche »), publiée dans le journal le 23 juin 1877.
Drôle de dame
Elle part à Paris en 1880 et commence sa carrière d’écrivaine. Elle obtient rapidement un succès de scandale avec son roman Monsieur Vénus (toujours disponible aujourd’hui) publié en Belgique (1884) et condamné pour outrage aux mœurs, avant d’être édité à Paris en 1889. C’est le début d’une longue suite de publications. À côté de son œuvre littéraire, cette femme remarquable a refondé en 1889 avec son mari Alfred Valette la revue Mercure de France, devenue ensuite une maison d’édition. Elle a tenu la critique de romans dans la revue jusqu’en 1925.
Après les années 1930, ses publications se font plus rares et elle est progressivement oubliée : son antisémitisme et sa xénophobie y ont sans doute contribué, comme le caractère vieilli de son écriture. Il faut ajouter son antiféminisme de toujours : lesbienne, elle s’est mariée par raison et elle se définissait, par provocation, comme « homme de lettres », obtenant d’ailleurs de la préfecture de Paris en 1885 de s’habiller en pantalons. Elle a plusieurs fois justifié son refus du féminisme : « Je n’ai jamais eu confiance dans les femmes, l’éternel féminin m’ayant trompé d’abord sous le masque maternel, et je n’ai pas plus confiance en moi ».
Deux manuscrits reproduits

On lira l’essentiel de son parcours d’écrivaine dans la préface d’Anne-Sophie Lambert à La reine des abeilles qui contient deux nouvelles inédites accompagnées de la reproduction des manuscrits présents dans la médiathèque de Périgueux qui possède plus de 170 ouvrages de Rachilde, des archives importantes, d’autres manuscrits et des inédits.
Une histoire scandaleuse
La première nouvelle joue sur l’ambiguïté du vocabulaire. Elle s’ouvre sur une phrase qui laisse entendre au lecteur qu’il est dans un monde humain, « La reine s’éveille dans un lit d’or pur », mais les notations suivantes font progressivement penser à une ruche : « tout est en or autour d’elle », « tout luit, tout brille, le plafond jaune, le parquet ciré », « antenne de diamants » ; l’ambiguïté disparaît avec la mention de l’habit des jeunes filles, « leurs jupes et leurs corselets sont d’un brun plus sombre que la robe de velours de la reine » et, plus avant, la reine affamée déjeune d’un « liquide vermeil qui sent (…) les fleurs ». Il s’agit donc bien de la reine des abeilles, qui décide de se débarrasser du mâle, le faux bourdon ; elle le décrit comme « gros, brutal, toujours bourdonnant autour de mes jupes ». Et les ouvrières jettent hors de la ruche ce « parasite », qui « mangerait [le miel] sans travailler ». Le rejet de celui qui n’est là que pour la reproduction est sans appel : « Après le baiser, oui, la bouche est inutile ! ». L’image est claire et facile à transposer : le faux bourdon représente l’homme et le récit évoque un renversement, au moins symbolique, de la relation hommes-femmes à l’époque de Rachilde puisque les femmes n’avaient aucun droit. On pense aux personnages de son roman Monsieur Vénus dans lequel l’homme est une marionnette qui obéit à tous les désirs de la femme.
Une histoire vraie
La seconde nouvelle, plus courte, met en scène un narrateur qui rapporte un événement banal mais riche d’enseignements. Un écrivain rame sur la rivière quand une abeille, « petit point d’or », tombe dans l’eau. Il l’observe se débattant et sur le point de se noyer, il la recueille et elle ne le pique pas comme il le craignait : « Elle fait sa toilette, lisse sa robe et sa coiffure », et quand la barque s’approche de la rive, « elle s’envole ». On peut encore lire dans ce récit une transposition d’une relation humaine dans laquelle la femme ne serait plus dans le seul rapport de soumission qu’elle connaît habituellement, l’homme manifestant ici une bienveillance inhabituelle.
On ne sait si Rachilde a recopié le texte des deux nouvelles, seul le second manuscrit porte une rature. Si d’autres inédits existent dans le fonds de la médiathèque, il serait souhaitable qu’ils soient à leur tour édités : les deux nouvelles de La reine des abeilles ne sont pas éloignées du reste de l’œuvre mais, par leur brièveté, elles sont une excellente introduction à la lecture de Rachilde et peuvent être lues dès l’enfance.
Tristan HORDÉ
• Rachilde, La reine des abeilles, Fanlac, 32 p., 10 euros.