Il était légitime que l’intrigue du polar marquant la nouvelle politique éditoriale des éditions Fanlac, relancées par Alice Tardien, renvoie à la Résistance puisqu’on sait leur créateur, Pierre Fanlac, son grand-père, les avoir créées à cette époque.
Un pari réussi que la publication de ce premier roman de David Martin, tant l’ouvrage de l’auteur, installé en Dordogne depuis 25 ans nous dit la quatrième de couverture, témoigne d’une belle écriture et d’une fine connaissance du couvert végétal, comme le veut sa reconversion dans la sylviculture.
On pense à Giono pour la communion avec la nature, à un Giono en moins métaphysique, qui se serait assis un moment, sans attendre le regain, à contempler la poussée de la sève, ou bien, pour la désillusion du texte et la tenue du style, à un Hervé Le Corre de la campagne.
Descriptif et méditatif
Sans être daté, le récit prend place à l’époque contemporaine, sans doute dans les années 2000, quand sont encore en vie ceux qui ont connu la guerre et quand apparait l’Internet, lequel facilitera la recherche documentaire. Il se déroule sur plusieurs saisons dont un style précis et sensuel restitue les couleurs et les odeurs en début de plusieurs sous-chapitres. « La lumière, derrière les troncs noirs, se détache en franges scintillantes (…) Il fait bon (…) Les seringats dispersent dans l’air tiède des nuances de mélisse et de jasmin. Autour des premières fleurs, abeilles et bourdons s’activent dans un ballet vrombissant et joyeux. »
Les descriptions du travail des bûcherons ou planteurs sont également précises. C’est le narrateur qui les fait puisque son métier est de faire appel à eux pour organiser coupes et replantations. Le récit est en effet écrit au présent et à la première personne, les phrases sont simples, nominales même, sans verbe, quand les scènes narrent la vie ordinaire.
Le rythme du livre alterne en fait entre moments de contemplation et moments de la vie quotidienne ou épiphanies dans lesquels se projette le lecteur, aux toilettes, durant les rapports sexuels ou au bar tant l’alcool accapare la vie du malheureux protagoniste, Roland. Le sens du détail est également là comme chez tout bon auteur de polar qui fait des personnages secondaires, professeur à la retraite, ouvrier forestier, croque-mort, entraineur de rugby, notaire, etc., des figures à part entière.
Tomber sur un os
Roland veut comprendre pourquoi il a retrouvé un os en recherchant des pots de résine à conserver, va interroger nombre de témoins ou d’archivistes qui le mettront sur la piste de ce qui a pu se passer, n’échappera pas pour cela au statut de fouille-merde et aux retombées qui vont avec. Il finira par découvrir des secrets de famille et verra s’éloigner par la même occasion le nouveau possible amour.

Ce sont les discours directs qui restituent les faits lors des entrevues, les méfaits des uns et des autres, les exactions des résistants, la cruauté des miliciens, la traitrise. La
question de la contribution de chacun à l’effacement de la mémoire collective traverse le roman.
Roland, en bon looser, ancien journaliste qui s’est fourvoyé en s’installant à la campagne, constitue un vrai personnage de polar. Il a viré alcoolique depuis le début du récit, lequel
tiendra du cauchemar des séparations recommencées, « chacun cachant ses petits cadavres au fond d’un bois ». Heureusement tient compagnie le végétal, et restent les
codres, ces tiges de châtaignier utilisées pour fabriquer des cercles, comme celui de la vie dont se répète la mélancolie.
Le récit se fait prenant au gré des fréquentations des différents personnages et des rebondissements de cette enquête que mène malgré lui Roland concernant un lointain homicide. On peut toutefois s’étonner de la longueur des dialogues, et aussi observer qu’ils se prêtent à l’écriture complémentaire d’un scénario. On verrait bien en effet produire une série de trois épisodes selon la tendance actuelle où le réalisateur saurait filmer le couvert, la poussée tremblante des plantes et arbres, en même temps que la violence des ruraux, même si mettre en scène des Périgourdins contribuerait à les stigmatiser alors qu’on ne peut les imaginer plus méchants que d’autres. De même, on peut s’étonner que la commune où l’histoire se déroule soit nommée au risque de gommer la dimension universelle de ce polar réussi.
François BURBAUD
• Que la forêt te garde, Daniel Marin, éditions Fanlac, juin 2025, 284 p., 19 €.