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Le mystère de la grotte polychrome

© Archives SBT
POLAR. L’histoire s’ouvre sur la transposition de la fameuse découverte de Lascaux par quatre adolescents et un chien éternel, Robot. Elle nous entraîne chez les collectionneurs de silex et dans les bars interlopes, de conférences de presse de crise en chasse au scoop avec un suspense intact jusqu’au bout : quel lien entre trois grottes et trois meurtres aux allures rituelles, nom de Diou ?

“Du sang dans les grottes” nous plonge dans les coulisses de la presse locale comme si on y était : rien de plus normal puisque l’auteur y travaille depuis des années au quotidien… un quotidien nommé Sud Ouest. Sur un fait divers, le travail d’enquête d’une rédaction n’est pas si éloigné de celui d’une gendarmerie, qu’il s’agisse de traquer l’info ou le crime : réflexes professionnels, mobilisation de moyens, renfort de troupes, recherche et protection de sources, réseaux personnels et petits secrets. Et comme ce polar se déroule en terre de préhistoire, on apprend aussi beaucoup sur l’art de nos ancêtres et sur la grotte de Lascaux en particulier. Quand on croise ces paramètres, sachant que ce journaliste-auteur a déjà écrit deux livres de référence sur le sujet, on devine à peu près qui se cache derrière la couverture d’Hervé-André Sanger.

D.R.

Il nous ouvre les pages locales du journal, dans les pas d’un ancien major de gendarmerie devenu correspondant de presse très investi, propulsé dans l’actualité nationale et bien au-delà quand Montignac monte en tête de la rubrique faits divers. Le lecteur endosse une panoplie tout-terrain (avec une belle aventure spéléo) pour se faufiler dans la vallée de l’Homme… où la cheffe de gendarmerie n’est pas du genre à se laisser traiter de gendarmette façon Saint-Tropez.

Si Lascaux est un sanctuaire, l’imagination de l’auteur s’amuse respectueusement à le profaner. Son excellente connaissance de la grotte d’origine, grâce au réseau d’experts, scientifiques et spéléos qu’il côtoie (avec hommage à Gilles Delluc, disparu ce début d’année), lui permet de jouer avec les lieux et avec nos nerfs, de faire advenir des hypothèses espérées et de nous balader dans les répliques… à tous les sens du terme, car on sourit souvent : remarque d’un fait-diversier parisien propulsé dans ce coin de campagne ou commentaires d’un pilier du Sporting, néo ruraux décalés et pèlerins new âge, titres accrocheurs de journaux et remplissage des chaînes en continu.

Discrétion et indiscrétions

L’esprit espiègle que le journaliste contient, à l’exception de quelques rubriques d’indiscrétions, se libère sous la plume du romancier qui livre au détour de l’intrigue une foule d’anecdotes et de bons mots, de précieux détails et descriptions, de grades précis (avec les tensions qui les accompagnent), le tout saupoudré d’une bonne humeur communicative. Les clés de ce récit ouvrent des profondeurs souterraines autant qu’une sociologie rurale, loin du folklore local, plutôt celui que le festival de Montignac consacre au reste du monde. On croise entre les lignes des figures périgourdines à peine masquées, Roger Constant du Regourdou ou Claude Douce du château de Sauvebœuf, on croit reconnaître l’ancien capitaine des pompiers de Périgueux ou un pigiste sportif qui use du Adishatz et du Quo Vaï ; l’auteur glisse des noms bien d’ici, des indices de fonctions… Hervé (c’est bien son vrai prénom) réussit à combiner dans l’ouvrage un autre chapitre de l’histoire du Périgord : la Résistance, ses réseaux, ses caches d’armes et d’argent. Et quand un trafic de drogue se superpose aux fouilles clandestines du patrimoine archéologique, on ne sait à qui attribuer les morts brutales. Le fil d’actualité affole les réseaux sociaux comme les autorités mais le duo d’enquêteurs, une experte en boxe au nom de capitale du Périgord noir et un sexa plus sexy que le laisse craindre son patronyme (Magnon), assure. Quitte à citer Brassens dans les pires moments.

En refermant l’ouvrage, on ne regardera plus comme avant les cars de troisième âge qui font étape dans les sites périgourdins, ni les gif de Dark Vador sur son portable, on saura qu’un père spirituel (très spirituel) peut devenir plus que cela ; et on se prend à réécouter les titres dont le héros s’enveloppe pour entrer en écriture, près de son chat Sherlock.

Cette lecture est recommandée aux gens du cru pour une révision générale et palpitante de leurs fondamentaux comme aux touristes qui choisissent le Périgord car ils pourront s’y évader encore grâce à cette instructive intrigue.

• Alors que disparaît une autre grande figure liée à la grotte de Lascaux, le paléontologue Yves Coppens (président du conseil scientifique de sa conservation), son nom viendra sûrement s’ajouter à celui de Gilles Delluc dans la note d’intention d’une très prochaine réédition. Hervé avait aussi eu le privilège de le côtoyer.

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L’originale

La description poétique du bestiaire vingt fois millénaire n’empêche pas l’approche clinique de Lascaux, « désormais traversée par des fils dans tous les sens qui faisaient penser à une salle de réanimation d’hôpital : la grotte, malade, risquait de perdre ses couleurs et avait été placée sous surveillance médicale constante ».