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Vois ma vie d’aveugle

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HANDICAP. David Rafier est revenu sur ses terre d'origine pour évoquer sa vie d'aveugle, le temps d'une conférence gesticulée programmée par BIEN en Périgord. Un partage d'expérience teinté d'humour et de ukulélé, pour mettre des situations sur le mot “inclusion”.

« Je rêvais d’un autre monde… » Oui, l’affiche de sa conférence gesticulée a quelque chose à voir — on peut se risquer à dire que c’est un clin d’œil, car il en sourira — avec la pochette du vinyle de Téléphone qu’il passait en boucle à l’époque, peuplant de musique sa solitude (le terrain de foot étant pour lui lieu d’exclusion). David Rafier garde une foi intacte en des lendemains meilleurs. Surtout pour celles et ceux dont la différence réduit l’inclusion dans la vie de la cité. Lors de sa prestation du 24 juin dans l’amphithéâtre de la médiathèque de Périgueux, à l’invitation de notre média, il a conquis le public en retraçant sa vie d’aveugle, entre émotion et humour.

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« Gilbert Montagné était une star quand je suis devenu aveugle ». Téléphone, Montagné, le répertoire est éclectique. Ce que ses yeux perdaient en acuité, le jeune David le compensait par une oreille absolue et un repli dans la musique. Avec son ukulélé, facile à manier et à transporter, il raconte l’homme qu’il est devenu, à force d’obstacles franchis. David se moque des faux-semblants et euphémismes qui ont cours depuis qu’on parle le politiquement correct, il se qualifie d’aveugle et ne s’interdit pas les mots voir et regarder.

« All inclusive »

« L’annonce d’un handicap est toujours un choc pour des parents, j’ai eu la chance de grandir dans un cadre favorisé. Selon les milieux sociaux, ce qui suit est plus difficile. » L’annonce, c’est celle d’un glaucome congénital. Et c’est parti pour un déroulé de souvenirs de Psh (personne en situation de handicap), avec une toile de fond qu’il vaut mieux prendre avec le sourire : « 2006 correspond à la création de la Mdph, un lieu où l’accent est mis sur les incapacités plutôt que sur ce qu’on peut faire ». Avec son « sésame », son classement, David s’est entendu dire à l’entrée d’un grand festival de métal, par un filtreur (sans filtre !) pour lequel handicap rime avec « fauteuil », « vous n’êtes qu’aveugle » ! Oui mais mais à 80 % d’invalidité tout de même… Plus tôt dans sa vie, pour le bac français, on lui avait parlé de « faveur » en lui ajoutant une heure pour venir à bout de cette épreuve… 5h au lieu de 4h, quelle aubaine en effet, pour écrire un brouillon en braille, appelé à être retranscrit.

Répercussions familiales

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À Douzillac, où David grandit, il faut rapidement envisager de changer de cour de récréation… direction Ailhaud Castelet, près de Périgueux, où il entre comme pensionnaire, à 6 ans. Son frère évolue à l’ombre des impératifs de santé de David, et son père est chargé des soins oculaires… relais que David prendra à ses 30 ans. Il évoque son Aesh, Julie, et le délicat apprentissage du braille, alphabet universel des aveugles pour lequel il avoue une irrémédiable lenteur de lecture.

Après une importante opération de l’œil réalisée aux Quinze-Vingts, à Paris (ulcère de la cornée et cataracte), il entre à l’institut national des jeunes aveugles, toujours dans la capitale, ville qui se transforme en jungle lorsqu’il faut sortir, canne blanche en main (et là, David envoie la musique de Dallas sur cet univers impitoyable !).

Une manifestation d’aveugles ? Un festival de cannes.
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La canne, passeport pour l’autonomie lui dit-on, est l’alliée des aveugles depuis 1931. Essayez donc une première sortie boulevard… des Invalides, sans rire. David en profite pour donner le bon mode d’emploi à qui veut aider un aveugle à traverser (lequel a souvent du mal à accepter l’aide en question) : ne pas toucher la canne, le laisser prendre le bras. Attention car le chemin du validisme, discrimination à l’égard des handicapés, est jonché de stéréotypes et préjugés semés pas ceux-là même qui croient bien faire.

On connaît la chanson

Son itinéraire professionnel, parcours du combattant, David le retrace à grands pas et on imagine la force qu’il lui a fallu, animateur pour La Ligue de l’Enseignement en 2002, pour porter les bienfaits d’internet dans les petits villages de Gironde ; et en 2008, au Futuroscope, pour passer de l’autre côté du décors en guidant des valides dans le noir avec “Les yeux grands fermés”, une inversion des rôles qui porte la vigilance sur les voyants, « une attraction humaine dans un parc de machines ».

Au premier plan, avec Marie-Lise Marsat, Martine Chauvineau, chargée des partenariats de BIEN en Périgord, « payse » de Douzillac… qui a eu l’idée d’inviter David © SBT

Le format de cette conférence gesticulée instille des messages, en douceur et avec le sourire, dans l’esprit de l’éducation populaire : constructif. « Le mouvement se veut militant, pour moi il s’agit de résister, en parlant de ma vie », assure-t-il, en remarquant qu’il s’en faut de peu entre militer et limiter. Alors il raconte. Se loger dans une grande ville quand on est jeune aveugle, c’est très difficile, alors on rassemble dans un même bâtiment… « un ghetto, c’est pas inclusif ! » France travail ? « Pas assez de chaises lors du handi-dating et on a fait tourner les handicapés dans les salles plutôt que faire circuler les intervenants » ; sur les 500 M€ de l’Agefiph, 100 de moins pour équiper les postes de travail… « J’aimerais qu’on arrive enfin à faire passer les moyens avant les procédés. » Et tant à dire, encore. De quoi faire évoluer sur la durée, au gré du public qu’il rencontre, ce spectacle qui s’adresse vraiment à tous… forcément.

• Le spectacle s’est terminé par une chanson reprise en chœur et par un échange avec un public très concerné, notamment des représentants de l’établissement Ailhaud Castelet, il s’était ouvert avec un mot de Marie-Lise Marsat, vice-présidente du Département chargée de la solidarité et des personnes en situation de handicap.

Marie-Lise Marsat, vice-présidente du Département, a tenu à assister à ce spectacle-témoignage © N.F.
Marie-Lise Marsat avec David et sa compagne, Charline ; et Suzanne B-Tartarat et Nadine Fabron, journaliste-présidente et trésorière de l’association éditrice de BIEN en Périgord © M.C.

 

Situer le parcours dans un cadre

La première loi pour fixer une pension destinée aux personnes handicapées remonte à 1975. En 1987, c’est l’obligation pour les entreprises privées de plus de 20 salariés d’en employer à hauteur de 6 % de l’effectif.

La loi pour l’égalité des droits et des chances date de février 2005, avec des compensations et reconnaissances, dans la sphère professionnelle notamment. Puis en 2007 c’est l’ONU qui hisse ces droits au niveau d’une convention internationale.

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Au fur et à mesure qu’avancent les décisions, les bandes podotactiles se multiplient au sol (toujours pas assez, mais il y en a bien une sur la scène de la médiathèque, structure qui développe l’accueil des différences sous bien des formes), les portes s’élargissent dans les constructions, les audioguides s’invitent dans l’espace public… L’inclusion vient remplacer l’intégration dont il était jusque-là question. Pour David, « l’inclusion relève du collectif tandis que l’intégration évoque la capacité individuelle à s’insérer ».

« Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société profondément malade. » Krishnamurti