Accueil BIEN aimé Vieille ? Voilà de quoi en faire un vrai compliment

Vieille ? Voilà de quoi en faire un vrai compliment

© SBT
VIEILLE ET FIÈRE. Avec son ouvrage, réflexion enrichie de témoignages et de références, Agnès Molinier partage son expérience de fin de vie professionnelle : la brillante journaliste s'est heurtée au mépris de l'âge, plus fort encore quand il appuie sur celui de genre.

C’est un métier passion, de ceux qui dévorent le quotidien et avec lequel l’entourage doit souvent composer : pas vraiment le temps de regarder… le temps qui passe. Quand sa hiérarchie a mis un “stop” à Agnès Molinier, bien avant l’heure, la rédactrice en cheffe du JT au sein du grand groupe audiovisuel français (le 20h d’Anne-Sophie Lapix) s’est sentie percutée violemment par une “date limite” que d’autres ont identifié avant elle et pour elle, et qu’elle ne ressentait ni dans son corps (pourtant malmené par un cancer du sein 15 ans avant) ni dans sa tête.

Quête et enquête

Une fois passé le cap “K.O. debout” et un bref retour à la case “syndrome de l’imposteur” qui avait ébranlé le début de sa carrière, Agnès Molinier a voulu transformer sa colère en œuvre utile. “J’ai passé l’âge !” résonne à la fois comme le constat affligé d’une péremption et l’affirmation assumée d’un caractère qui ne s’en laisse pas compter, et prend le dessus. Tout l’inverse d’une posture de victime : vieille, senior, âgée, qu’importe… oui, Agnès a encore beaucoup à faire et, même si elle n’a plus rien à prouver, elle s’engage pour porter la voix de ses semblables et montrer de quoi elles sont capables. Son podcast Vieilles ! a préfiguré ce qu’elle fixe dans ce livre.

À partir de son expérience, elle a voulu recueillir d’autres témoignages, explorer les travaux de recherche de sociologues et historiennes, psychanalystes et psychologues, autrices et expertes (Marie de Hennezel, Sophie Fontanel, Charlotte Montpezat, Blandine Métayer), elle a fouillé les statistiques et l’évolution de la société, le sens de l’histoire et les progrès de la science… à l’heure où les débats sur le report de l’âge de la retraite pourraient bien propulser les seniors toujours plus loin.

Quel âge et dans quel état ?

Imbriquant sa propre histoire familiale à son enquête, l’autrice ouvre le dialogue, trouve des résonances, bouscule les mots “retraite, désir, sexe, beauté, revenus, Ehpad, deuil”…, pointe l’âgisme comme une discrimination moins repérée que d’autres. Une chose est pourtant certaine : nous allons tous au-devant de ces ennuis-là (renoncer, s’adapter, changer…) —pour ceux qui ont la chance d’arriver à un certain âge, pour ne pas dire un âge certain — l’essentiel étant de ne pas mourir d’ennui.

Car en fait, quel âge ? et dans quel état ? Les “je ne peux plus” valent toujours mieux que tout ce qui n’a jamais été essayé par d’autres. Agnès se livre avec sincérité, confiant la blessure narcissique infligée par une jeune voyageuse de TGV parlant d’elle comme d’une “vieille femme” : qui donc pourrait se reconnaître, dans sa réalité, dans le miroir déformant de cette expression ? Agnès dévoile aussi sa tentation des petits trafics esthétiques qui permettent de tricher… un temps.

Nouvel âge

Partie à la rencontre d’autres femmes qui ont, comme elle, été confrontées à l’injustice de l’arbitraire, Agnès Molinier s’attache à la sphère professionnelle, tout d’abord, à la rencontre de compétences qu’on a, comme elle, priées d’aller s’occuper ailleurs avec une expérience et un potentiel qui permettraient au dit employeur de s’en satisfaire encore longtemps ; elle souligne des carrières plus hachées que celles des hommes et qui, la retraite venue, doivent composer avec de moindres moyens qu’eux.

Finalement affranchie de toute contrainte, la journaliste-autrice (qui a aussi été reporter pour Envoyé Spécial) assume et revendique son nouveau statut : elle profite de sa liberté et qualité d’expression pour porter la voix de celles qui souffrent en silence ou se résignent. Parce que tout est plus compliqué aux femmes, la vieillesse l’est bien sûr davantage.

Force vitale

© First Éditions

La vie active n’est que la partie visible d’un jeunisme qui irrigue tous les étages : il faut — et même chez soi — imposer un autre regard. Le cinéma fait sa révolution, les actrices ne disparaissent plus forcément à la première ride (qu’elles effaçaient la plupart du temps). Le “nouveau” féminisme, porté par la jeune génération, finit par s’intéresser aux “anciennes combattantes”, qui ne sont pas à l’abri de violences sexuelles, la terrible histoire de Gisèle Pélicot l’a révélé. Le lien à sa fille, génération MeToo, fait ainsi partie de la “rédemption” d’Agnès et nourrit ses espoirs en des lendemains meilleurs. D’ailleurs affranchis de la pression de la maternité : pour celles qui n’ont pas voulu d’enfant (et n’en voudraient toujours pas), point de culpabilité l’âge venu. Elles vieilliront sans, transmettront autrement. En suivant quelques-unes des pistes des dernières pages de ce livre, résolument constructif.

En attendant, par la grâce de cette “disgrâce” professionnelle, le Périgord a retrouvé Agnès Molinier : originaire de Périgueux, elle y a rejoint le Club de la presse du Périgord et ne manque pas de projets. Avec ce livre, elle a jeté un œil dans le “rétro”. Pour mieux filer droit devant.

(Une autre journaliste, Maïtena Biraben, elle aussi en partie ancrée en Périgord, valorise sur la chaîne qu’elle a créée des femmes fières de leur parcours et de ce qu’elles sont, à l’âge qu’elles ont ; des femmes accomplies, des repères.)

J’ai passé l’âge. Agnès Molinier. First Éditions. 18,95 euros.