Accueil BIEN commun Tournages en Périgord : un capital d’image(s) – 2 –

Tournages en Périgord : un capital d’image(s) – 2 –

Ciné plein air à Eymet © Ciné Passion
UN TRAVAIL À LA SOURCE. Ciné Passion est la structure de référence pour l'ensemble de la filière audiovisuelle en Dordogne, production et diffusion. Les années d'expérience de l'association lui permettent de rationaliser l'activité cinématographique, qui tient de l'art et de l'industrie, sur fond de politiques publiques. Depuis 2004, le bureau d’accueil des tournages développe le potentiel local. Retour sur quelques thèmes forts de l'histoire de Ciné Passion.

« L’aide à la création et à la production, comme le soutien à la diffusion, date du ministère de la culture de Jack Lang et d’un outil spécifique, l’agence du développement régional du cinéma (ADRC), en lien avec la Datar », rappelle Rafael Maestro, directeur de Ciné Passion. Les collectivités ont alors pu prendre la main pour sauver des salles privées de la fermeture.

Sur le tournage de “Victor Hugo ennemi d’État”© Ciné Passion

Ainsi naquit Ciné Passion

Le maire de Saint-Astier a commencé en 1986 — d’où l’ancrage historique de l’association dans la commune — puis ceux de Ribérac, La Roche-Chalais, Montignac, Nontron. Ciné Passion est né en 1990 à leur initiative et celle du Département, pour lequel l’association est l’opérateur sur l’ensemble de la filière cinéma et audiovisuel. « Avec le Gers, ce sont alors deux départements exemplaires. »

Tournage de ”Stella est amoureuse” à Périgueux © Ciné Passion

L’économie du cinéma repose sur des compétences humaines, chaque générique suffit à s’en convaincre, ce qui explique un budget moyen de film en France autour de 6 millions d’euros. Avec 153 jours de tournage dans l’année, le Périgord occupe une place de choix dans cette économie, dans le top 3 des départements hors littoral.

Indispensable fonds de soutien

Tournage de ”Stella est amoureuse” à Bergerac © Ciné Passion
Tournage de ”Stella est amoureuse” à Bergerac © Ciné Passion

« Pour rendre attractif notre département aux yeux de productions à 95 % parisiennes, les compétences apportées ne suffisent pas : nous avons un déficit d’accessibilité que nous devons compenser », insiste Rafael Maestro. Le fonds de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle permet de rééquilibrer l’inconvénient de l’éloignement. Le Conseil départemental a créé son propre fonds en 2008, alors qu’il investissait depuis 1997 dans des tournages grand public.

Depuis 2016, le Département n’a plus la compétence économique et ce fonds est adossé à une politique régionale, elle-même adossée à celle du CNC. Il verse une aide si la Région en attribue une : ces fonds de soutien croisés représentent 14 millions. En 2022, une enveloppe de 300 000 euros a été votée pour le seul fonds départemental, il a permis d’accompagner 14 films pour un montant de 208 000 euros sur 117 jours de tournage.

Précieux carnet d’adresses

Tournage de ”Meurtre à Sarlat” © Ciné Passion

Le Périgord a ouvert la voie en région Aquitaine en constituant le premier bureau d’accueil des tournages (BAT), « armé » de cette enveloppe financière : « les autres sont venus nous voir, on a donné le mode d’emploi… », sourit son responsable, Thierry Bordes. Pour autant de “meilleurs ennemis” par la suite. Son service recèle des trésors de pré-repérages photographique et technique, un répertoire de décors réguliers ou originaux, un carnet d’adresses de 1500 contacts précieux pour la profession et d’un réseau relationnel qui ont permis de faire émerger le Périgord dans les paysages de tournages.

Les inoubliables

Tournage “Les Enfants des Justes” © Ciné Passion
Tournage “Les Enfants des Justes” © Ciné Passion

« On s’attache très vite aux nouveaux projets, quelle que soit leur forme », assurent Rafael Maestro et Thierry Bordes. Certains comptent plus que d’autres cependant. Le plus important, celui qui marque un avant et un après pour le bureau d’accueil, c’est The last duel de Ridley Scott. « Le réalisateur avait déjà tourné à Sarlat, il y a 40 ans, son premier long métrage, caméra d’or à Cannes, Les duellistes. Et, magie du cinéma dans la concurrence mondiale, la différence s’est faite par le réseau : le producteur exécutif franco-anglais, John Bernard, a passé sa jeunesse près de Sarlat. Il nous a aidés à être financièrement mieux placés que les autres pays et à valoriser le site de France Tabac comme base arrière. » Dès lors, ce tournage d’un budget de 139 millions d’euros a commencé en Dordogne et « ça change tout en termes de retombées médiatiques internationales, ça lie le film au Périgord alors qu’il a aussi été tourné en Bourgogne et en Occitanie ». Le casting a battu des records, avec 8 000 personnes prêtes à attendre dans le froid pour le passer.

L’autre grand souvenir du duo, sentimental, c’est le film Ici-Bas, de Jean-Pierre Denis, en 2012, qui réunissait « tout ce qui nous constitue, la vallée de l’Isle, dont le réalisateur est originaire, la nôtre, avec une histoire locale, et la révélation de Céline Sallette ». Avec une avant-première à Saint-Astier.

Enfin, le tournage de Vilaine s’est entièrement déroulé à Ribérac : c’est le plus important nombre d’entrées pour un premier long métrage en France, celui de Karé Productions, « des messieurs du cinéma, qui ne nous oublient pas ».

Intérêt général et éducatif

Ciné plein air à Hautefort © Ciné Passion

Côté diffusion, la disponibilité de Ciné Passion est identique pour le tapis rouge du festival de Sarlat, avec un réalisateur célèbre, comme pour une discrète médiation à la prison de Neuvic. L’équipe réduite (12 personnes) porte une centaine de projections en direct et répond à toutes les sollicitations (animations de soirées aux côtés d’associations, etc.). Chaque membre a suivi un même chemin : d’abord le cinéma en plein air sur une saison d’été, pour comprendre la cohésion, la transmission des savoirs et des méthodes.

© Ciné Passion

Son réseau de 12 salles place chaque Périgourdin à moins de 20 km de l’une d’elles et dans une grande diversité de choix (800 films en 2022), donc de publics. Résultat : 900 000 entrées en 2022 dans le département. « Nous représentons l’intérêt de toutes ces salles, à la manière d’un multiplexe éclaté, cet ensemble de recettes nous permet de compter sur ce marché. Notre valeur ajoutée, c’est le tarif des places : 4,60 € en moyenne dans le réseau ; c’est aussi la relation de proximité, personnalisée, 7/7 jours. » Par l’effort commun de l’association et des collectivités, le cinéma est un lieu de vie qui sert à bien d’autres occasions et son public profite aux commerces locaux.

Et près de 20 000 scolaires, de la maternelle à la 3e, sont accueillis gratuitement trois fois par an avec 800 enseignants formés sur le fond et sur la forme par Ciné Passion : c’est le premier département de France (40 % pour une moyenne nationale à 10 %).

Tournage “Mittai” à Hautefort © Ciné Passion

 

Ils ont dit

> « Ciné Passion fait vivre une filière, on y boucle une boucle, de la vie d’un tournage à la salle de cinéma. Nous fédérons un ensemble d’acteurs dans ce cercle vertueux. »  Fanny Petit Van-Tornhout (BAT)

> « Je ne travaille que sur des relations humaines, on s’adapte. C’est une gymnastique intellectuelle d’aller chercher les ressources pour répondre à la demande. » Thierry Bordes

> « Un tournage est un moment intense, un gros barnum qui passe, qui s’en va, et nous on reste : il faut que tout se passe bien ici, on avertit les productions. »  Thierry Bordes

> « Les retombées induites d’un film sont aussi à prendre en compte : l’envie de visiter la Dordogne, la circulation des films dans les festivals et dans les mémoires qui valorise la politique d’accueil de tournages du Département, l’un des rares à avoir maintenu son fonds. » Fanny Petit Van-Tornhout

Tournage ”Les 3 Mousquetaires” (série) Hautefort © Ciné Passion

Modèle économique

La logique économique du cinéma est organisée autour du CNC qui régule, réglemente et contrôle. « Le matelas de financement du cinéma français, de 700 millions d’euros, repose sur des taxes prélevées sur les billets, auprès des diffuseurs et des éditeurs vidéo, explique le directeur de Ciné Passion. Mis bout à bout, en intégrant les arrivées successives de Canal+, du DVD, de la VOD et de Netflix, ces quelques pourcentages de contribution fixent des engagements pour tous ceux qui entrent dans la chaîne de fabrication du cinéma. Le monde entier nous envie ce système. » En abondant ce fonds, sur le modèle de la tontine, chacun est contributeur et bénéficiaire. Ce qui a rapidement permis à l’association de rénover les salles et le matériel, et surtout d’acheter des copies de films en sortie nationale et non plus un an après Paris.

Lire aussi : Un capital d’image(s) 1

Tournage ”Les 3 Mousquetaires” (série) Hautefort © Ciné Passion

Un directeur entré par la cabine de projection

© RM

Rafael Maestro est arrivé en 1995 en tant que stagiaire pour créer un circuit de cinéma itinérant. « J’aime me servir de l’action culturelle pour n’oublier personne, car la culture est un besoin qui s’ignore. La vitalité de la Dordogne en dehors des villes centres permet de diffuser le cinéma partout, dans des salles des fêtes. » Son parcours personnel — une école de la vie faite de voyages et de boulots souvent ingrats qui l’ont beaucoup instruit, en marge d’une aspiration réelle pour la culture —  en fait un chef d’équipe respecté, soucieux d’une organisation horizontale pour que tout fonctionne en parallèle, avec un même niveau d’information pour des compétences très différentes. « Je n’oublie pas que j’ai commencé comme opérateur projectionniste, le plus petit poste dans la grande famille du cinéma, celui que personne ne voit mais vers lequel on se tourne en cas de panne… Je reste là quand ça ne va pas. »

Projection au Bournat, au Bugue © Ciné Passion

Représentations multiples. Il est sollicité pour intervenir dans des formations supérieures, à la Fémis, etc. « Je théorise beaucoup de mes pratiques, je crois qu’on se forme tout au long de la vie. » Et il endosse des mandats professionnels aussi divers que la vice-présidence du festival du film de Sarlat et la présidence du plus important réseau européen à l’échelle régionale, Les cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine ; il siège au bureau d’ALCA, au CA de l’OARA, au Ceser Nouvelle-Aquitaine pour représenter la filière, il s’occupe du programme lycéen depuis 10 ans, il siège à la fédération nationale des cinémas français et il était il y a peu vice-président de l’association française des cinémas d’art et essai. « À chaque fois, ma légitimité, c’est la Dordogne. Je ne représente pas une fonction, je fais monter l’opérationnel. »