Accueil BIEN ensemble Récompense pour un hymne à la mer

Récompense pour un hymne à la mer

© Collection Christophe Chagnard
PAROLES ET MUSIQUE. Christophe Chagnard a quitté Saint-Louis et les État-Unis pour s'établir avec sa famille à Périgueux. Le chef d'orchestre, compositeur et guitariste vient de recevoir un Emmy® Award pour la musique du film Descent, consacré aux coraux en péril dans les fonds marins.

Tout commence au Boukies’s bookshop de la rue Taillefer, à Périgueux : la librairie café ouverte en 2022 est devenue en l’espace de quelques années le quartier général des néo-périgourdins et de tous ceux qui ont envie de cultiver la langue de Shakespeare et de rencontrer des ailleurs en restant ici. L’ambiance sans frontières entretenue par Quitterie et David, créateurs du lieu, attire des professeurs d’anglais qui y dirigent leurs élèves, des voyageurs qui viennent prendre des repères pour de nouvelles aventures, des curieux de tout et de tous.

© SBT

C’est là que Chantal Achilli, insatiable tisseuse de liens autour des cultures du monde, a ajouté des noms à son long répertoire de contacts. Ce vendredi soir, chez elle, une poignée de ce groupe à géométrie variable se retrouve pour prendre un peu d’avance sur les fêtes de fin d’année. On compte Sandra Van Tongerloo, chef néerlandaise aux préoccupations « santé et alimentation », Line Parisot que les fidèles du Méridien connaissent bien, l’Irlandais Gary Duffy, journaliste à la BBC et son mari Kleverstone, originaire du Brésil, qui ont choisi de s’établir à Périgueux après avoir vécu à Londres et au Brésil. Et, surtout, on lève le verre au succès de Christophe, le plus français des anglophones de la petite assemblée puisque ce Parisien, après avoir vécu 42 ans aux États-Unis, revient en famille vers le vieux continent, avec son épouse Jo et leur fils de 11 ans, Leo : l’élection de Trump n’y est pas pour rien, même si la découverte de Périgueux, quelques années avant, y est pour beaucoup.

Terra Nostra, en musique

© Collection Christophe Chagnard

Mais avant de remonter le fil de son histoire (lire l’article lié, ci-dessous), revenons sur le motif des réjouissances. Christophe Chagnard a reçu samedi 6 décembre un Emmy® Award (suncoast regional) de la National Academy of Television Arts & Sciences pour les arrangements et la musique qu’il a composée pour le documentaire Descent.

Christophe Chagnard a étudié au Berklee College of Music, prestigieuse école à Boston. Il est resté aux États-Unis après une visite chez son père, qui y résidait, entrant dans un parcours académique comme il n’est possible que là-bas, sur le tard. « Je suis arrivé à la musique à 20 ans, par accident. C’était alors un processus naturel, sans crainte de la page blanche. Depuis, les idées viennent en permanence, c’est une chance. J’ai écrit beaucoup de musique en 30 ans. »

Il y a 15 ans, celui qui est aussi chef d’orchestre, met son art au service de causes qui lui importent : le sort des Manouches, l’incarcération des Japonais américains pendant la Seconde Guerre mondiale, la mort des massifs de coraux… « Cela demande des recherches, du travail, des rencontres, c’est une responsabilité de porter ces sujets. » En 2014, il reçoit une commande pour écrire une symphonie sur le changement climatique. Un couple de mécènes soutient cette cause. « Mon moment Syzygy », dit-il : alignement des planètes. « À ce stade de ma carrière, je pouvais me pencher sur un sujet aussi vaste. Le sujet appelait un son magistral. » Une œuvre pour 80 musiciens, parmi lesquels Jo, sa talentueuse épouse violoniste et altiste, une impressionnante section de cuivres, des voix : Terra Nostra. Le latin comme langue universelle et regard un rien ironique sur la prise de possession de la planète par les humains.

De la terre à l’océan

Il dirige la première mondiale en 2015, à Seattle. Succès immédiat. 32 minutes intenses. Un réalisateur choisit alors sa musique pour poser un film dessus, et non l’inverse comme cela se pratique plus classiquement. « On a travaillé ensemble. Il a fait un montage très précis sur ma pièce la plus organisée, quasi-scientifique. » Le film, sorti en 2017, a remporté de nombreux prix dans les festivals. « Terra Nostra a dévoré ma vie. Mais la crise Covid a tout arrêté. »

Il crée alors une association qui utilise l’art pour éveiller les consciences au changement climatique. Earth Creative, fondée en 2020, réunit une centaine d’artistes de 19 pays et 18 disciplines. « Le paradoxe de la situation, on est chez soi, isolé par le covid et relié par internet avec des centaines de personnes. Dont le réalisateur Rory Fielding, qui voulait travailler avec moi après avoir vu Terra Nostra. » Christophe Chagnard décide de lui offrir la musique de Terra Nostra pour son projet consacré au blanchissement de la barrière de corail.

© Collection Christophe Chagnard

Ainsi est né Descent Into the blue, documentaire destiné à une diffusion télé pour lequel il vient d’être récompensé pour la création musicale (Suncoast Emmy Award winner ! parmi six nominés), avec Renée Sunbird pour la chanson finale : « j’ai écrit des variations pour quatuor à cordes sur cette chanson, douze variations intégrées au film » et dans lesquelles joue son épouse Jo, bien sûr.

Il continue d’écrire, depuis Périgueux, des partitions liées à l’environnement, toujours. Sera joué fin janvier un concerto consacré à l’ébène en péril, composition en duo, à distance, avec un clarinettiste soliste né en Syrie et vivant à New York. Conjugaison de rythmes et concepts harmoniques très différents, Moyen Orient et nouveau monde. « C’est la première fois que ça m’arrive, la composer est d’habitude un travail solitaire. On a créé un concerto en six mouvements, pour trois d’ordinaire, une structure qui correspond, dans la nature, à celle des arbres, m’a fait remarquer ma brillante épouse : six cercles de l’écorce au duramen. » Ce concerto est déjà repéré par un éditeur viennois.

Avant cela, le 9 janvier, Christophe ira écouter l’ONBA jouer Un Américain à Paris à l’Odyssée… il y retrouvera le chef Joseph Swensen, directeur musical de la fameuse phalange néo-aquitaine depuis mai 2024. Ce chef l’avait remplacé à l’orchestre de Seattle, qu’il avait créé il y a 30 ans : retrouvailles exceptionnelles en vue, à Périgueux.

Christophe Chagnard, un parcours semé de surprises

Un jour, il pourrait bien écrire la musique du film de sa vie si un réalisateur voulait s’en emparer.

« Ce n’est pas une coïncidence si le monde entier veut s’installer ici, la campagne est magnifique, il y a l’histoire, la culture, la gastronomie… » Christophe Chagnard, avant d’arriver à Périgueux, vivait aux États-Unis depuis 1983. Il était venu à Noël 1982 pour passer quelques jours à New York, voir son père. Ce Parisien faisait des études aux Beaux-Arts à Marseille et, s’il pratiquait un peu la guitare, il ne se destinait pas à la musique. « Je voulais être peintre, comme mon père. » Au Madison Square Garden, il écoute Miles Davis : un choc. Et à Boston, il visite la Berklee school. « Je ne savais pas lire la musique, à l’époque. Mon père et son amie m’ont pourtant proposé de passer un semestre à la Berklee. » Si un cursus aux Beaux-Arts coûtait alors peu de choses, « vive la France », il n’en allait pas de même dans cette prestigieuse école. Il passe tout l’été à se préparer pour être au niveau du concours d’entrée, en partant donc de pas grand-chose, et débarque en septembre 1983 pour se jeter dans la fosse aux lions.

Côté finances, il emprunte la somme nécessaire à l’amie de son père. De quoi tenir un an, après quoi il revient en France pour travailler dur et se refaire un pécule, et retourne aux États-Unis. Il estime que deux ans sur place relève déjà du miracle et il s’apprête à repartir définitivement. Mais…

Première chose incroyable : l’amie de son père, Lavinia Currier, lequel l’a rencontrée en France en lui enseignant l’astrologie, est l’héritière d’une grande fortune depuis la mort précoce de ses parents, jet-setters amis des Kennedy dont l’avion s’est abîmé dans le Triangle des Bermudes alors qu’elle était enfant… Une histoire que raconte encore Christophe avec étonnement. « C’est Lavinia qui m’a prêté 15 000 dollars pour mes études, et je l’ai bien sûr remboursée. »

Deuxième chose incroyable, au moment de quitter l’établissement après avoir annoncé ce départ à ses professeurs, pour cause d’enveloppe financière épuisée : il trouve dans son casier une lettre qui lui offre une bourse jusqu’à la fin de ses études. Les Américains ont le talent de repérer celui des autres et de les soutenir. « J’ai alors bossé encore plus comme un fou, je savais que j’allais être musicien. » Bachelor en 5 ans, puis Master en 2. Une fois sa maîtrise en composition obtenue au conservatoire de Boston, Berklee lui propose un poste de professeur « contrepoint, harmonie et direction » : ses élèves sont à peine plus jeunes que lui.

« J’ai toujours voulu revenir en France. La question, c’était : quand ? » L’élection de Trump a accéléré le mouvement auquel il pensait pour la scolarité de Léo, 11 ans. « On a passé l’été 2024 à Périgueux, où on avait choisi d’avoir un pied-à-terre. On a adoré cette période. » De retour à Saint-Louis (ville natale de la très Périgourdine Joséphine Baker !), alors qu’ils sont au restaurant pour leur anniversaire de mariage, son épouse demande à Christophe de déménager en France, pays auquel rien d’autre ne la reliait. Un véritable choix. Que l’élection de Trump, pressentie, a accéléré deux mois plus tard : ils ont tout vendu là-bas, dans l’ambiance hyper-Républicaine du Missouri, pour ne plus avoir d’attache autre aux USA que la famille de Jo, au Kentucky.