« Quand j’étais gamine, je cuisinais déjà, j’ai toujours aimé ça. J’ai pas mal voyagé et j’ai été influencée par la cuisine de rue, pareil pour la photo : j’aime bien travailler dans la rue, un lieu auquel tout le monde a accès. La nourriture est un moyen d’aborder les gens, c’est le partage, un moyen de communication génial quand on parle pas la même langue. Ça fait du bien aux gens. » Anita Pentecôte évolue entre deux mondes dont elle s’attache à faire la synthèse, avec quelques observations. « Quand on passe beaucoup de temps à préparer un plat, c’est difficile de le voir mangé en 5 mn… Il n’y a pas toujours de reconnaissance. Quand je suis invitée en tant qu’artiste, on déroule le tapis rouge. En tant que cuisinière, ce n’est pas pareil. »
Mélange de genres et de gens
Son food truck, Miumymiumy, transporte bien davantage que son restaurant itinérant, au départ de Meyrals : Anita Pentecôte reste artiste photographe et grande voyageuse, avec la touche d’évasion qui singularise sa cuisine. Ses « élucubrations gourmandes” mettent en scène pavé de truite en crousti d’herbe, riz vénéré, farandoles de poireaux à la crème safranée et spiruline en dentelle ; son inspiration met régulièrement le cap vers le Maroc pour un tajine de poulet citrons confit olives, vers l’Inde — « J’adore le butter chicken avec le riz biryani » — et autres destinations de cuisine ethno fusion. « J’aime préparer des salades mélangées, avec des fleurs, des fruits, des sauces à base de fraises et vinaigre balsamique. » Anita affectionne les mélanges de genres, et de gens.
Cuisine solidaire
Le petit camion blanc est la partie visible de l’activité d’Anita Pentecôte, cheffe cuisinière à domicile et traiteur particulièrement apprécié du monde artistique pour son catering destiné aux équipes et ses formules d’après-spectacle où le public aime s’attarder. Elle tente les menus végétariens sur les marchés gourmands et aime voyager en solidaire pour proposer, comme au Jardin du Plantier, à Sarlat, avec soutien de la mairie et du tiers lieu, des repas populaires ouverts à tous moyennant faible participation… et surtout aux personnes précaires moyennant rien du tout, sur fond de moment convivial pour fusionner les publics et n’en repérer aucun. « J’avais vu les Disco soupes étudiants, il y a quelques années, pour partager les invendus de fin de marché. J’aime lancer des choses avec des cuisines associatives, mobiliser les énergies, mais je souhaite conserver mon indépendance, ne pas me fixer.» Anita cuisine avec des dons de producteurs, aidée par des mains amies, bénévoles et personnes en insertion, mobilisées aussi tout récemment pour des actions destinées à l’Ukraine (trouver des hébergements, convoi de dons, etc.). « La logistique ne me fait pas peur, la vie a fait que je suis assez démerde… » sourit-elle. Pour octobre, avec le groupe de femmes qui partage ses projets solidaires, elle prépare un grand repas en musique pour venir en aide aux camps de migrants de Grande-Synthe. « Avec la cuisine, on peut vraiment faire beaucoup de choses pour aider.»
Spécialisée dans le catering artistique
Pendant deux ans, elle a été cantine officielle du festival de cirque de Nexon, pôle national situé sur le territoire du Parc naturel Périgord-Limousin (PNPL) : à la fois table pour les artistes et pour le public, c’est un épisode lourd à gérer pour ses seules épaules, mais riche en rencontres sur ces terres festivalières. « Le food truck sert de plus en plus pour des événements, cela me permet de m’organiser. Mon identité culinaire, c’est la cuisine du monde et il est difficile de se plier à des exigences purement commerciales, je fonctionne un peu comme une artiste, avec mes envies et mon humeur…» De quoi se sentir dans son élément lorsqu’elle intervient dans des festivals, pour la scène nationale de Niort ou bientôt pour le festival du Périgord noir, pour des résidences d’artistes mais aussi des sessions de yoga, de tai-chi avec La Grande Ourse, de bien-être et des repas privés.
Fin mai, au festival de La Vallée
Anita travaille sur des projets “artistico-culinaires” et ce sera le cas pour le festival de La Vallée, où elle est d’abord intervenue en tant qu’artiste, l’an passé. « Quel est notre patrimoine culinaire ? Sur ce thème, je suis allée dans des classes et chez les habitants, ils m’ont transmis des contes, des recettes, des histoires, et j’ai préparé une installation plastique avec tous ces éléments… mais le grand banquet final n’a pas pu avoir lieu, en raison de la crise Covid. Ce sera donc pour cette édition, à Grignols, avec le lycée agricole et la compagnie (en caravane) “La cuisine des auteurs” de Jérôme Pouly, sociétaire de la Comédie-Française. J’aimerais vraiment continuer à développer cette alliance de la culture et de la cuisine. »
Rencontre avec le sténopé
Anita s’est d’abord formée au tirage photo. « J’ai adoré ça, mais pas d’être enfermée dans un labo. » Elle devient alors assistante dans un studio, pour un photographe de mode à la pratique très artistique. Elle assure la régie et réalise les photos lors d’un tournage en Afrique, puis dans les coulisses du festival Panafricain du cinéma au Burkina Faso. C’est en s’installant au Québec qu’elle entre aux Beaux-Arts et développe particulièrement un savoir-faire autour de la sérigraphie, la gravure… la photo (Major of fine arts, université Concordia, Montréal). De retour en France, Anita intègre le collectif Oscura, à Marseille, qui développe des projets autour du sténopé. Ce procédé de prise de vue comble sa précédente envie de « libérer l’image de son format » en l’appliquant à une grande diversité de supports (capot de voitures, tronc d’arbre…). La technique ancestrale, qui repose sur une simple boîte trouée, permet des déformations aléatoires aux évocations contemporaines. S’engage alors un travail sur le temps, la temporalité. Avec le collectif, dans le cadre de « culture à l’hôpital « , elle travaille le sténopé avec les patients en psychiatrie de l’hôpital de La Timone, à Marseille, qui donne lieu à un livre, Les visiteurs du matin. « Une de mes plus belles expériences humaines : j’ai adoré leur façon d’être, immédiate. On était seulement là pour les encadrer, ils réalisaient leur propre image, leur perception de l’hôpital. Une écrivaine a signé des textes d’accompagnement. »
Photographe-cuisinière
Comme il lui est difficile de vivre de son art, la cuisine arrive en renfort : elle conjugue ses deux passions avant de s’imposer un choix et opte pour un CAP de cuisine au Greta de Sarlat, pour tout reprendre à zéro. « J’ai retrouvé le côté laboratoire, manipulations, expériences… et un aspect visuel, bien sûr, je travaille beaucoup les textures, les couleurs. » Elle aime l’idée de faire découvrir autre chose à des Périgourdins épris de leur terroir : un défi. Et cultive le lien avec les producteurs locaux.
Anita poursuit son chemin photographique en abordant la sphère culinaire et les produits locaux, avec une série sur les viticultrices en Bergeracois, « des femmes très courageuses ». À part le sténopé et ses contours mystérieux, Anita se dit trop proche de la réalité pour basculer vers l’abstraction, elle a beaucoup travaillé sur le patrimoine industriel — forge de Savignac-Lédrier, Papèterie de Vaux, Filature de Belvès — mais manque de temps pour poursuivre une recherche plastique hors l’univers culinaire où elle s’attache à l’esthétique comme au patrimoine. « J’aime fixer des témoignages. » L’indépendance qui la caractérise, qu’elle définit comme une qualité et un défaut, aurait aussi pu s’exprimer ailleurs. Anita confie regretter de n’avoir pas tenté de devenir photographe reporter, comme elle en rêvait. « On se protège derrière un appareil photo, même sur les zones de combat. »
Le Périgord en chemin
Ni point de départ, ni d’arrivée, la Dordogne est l’endroit où Anita est restée le plus longtemps dans sa vie. Lieu de passage, probablement, pour celle qu’appellent d’autres voyages, mais point d’ancrage assurément pour envisager de multiples retours. « Je me sens bien dans l’ailleurs. J’ai beaucoup voyagé : quand on a grandi à l’étranger, ça devient une drogue. J’ai passé mon enfance en Afrique, au Cameroun où mon père ingénieur géologue avait été envoyé, puis j’ai vécu au Canada, aux États-Unis, en Autriche… J’ai la double nationalité franco-canadienne, j’aimerais repartir du côté d’Ottawa pour travailler avec une cheffe indienne qui développe un programme avec d’anciens toxicomanes. » Impossible pour elle d’exclure la dimension sociale de la cuisine.
Partager des expériences lors d’ateliers culinaires
Arrivée de Marseille avec son ex-compagnon pour reprendre un restaurant à Saint-Cyprien (anciennes Écuries de la Passée, à l’identité très forte), ouvert aux expériences artistiques, elle paie encore aujourd’hui la fin de cette histoire trop peu commerciale. C’est en Périgord qu’Anita a choisi de planter sa maison, une étape importante pour celle qui apprécie quand même de se poser, dans un grand espace où elle aimerait, après s’être formée à la permaculture, proposer dès l’année prochaine des cours de cuisine et des ateliers « pour raconter des histoires autour des épices et de l’alimentation ». Une évolution pour elle qui se place plus volontiers dans l’action que dans le récit.