Accueil BIEN entreprendre L’entreprise Julien de Savignac, 40 ans de passion pour le vin (épisode...

L’entreprise Julien de Savignac, 40 ans de passion pour le vin (épisode 1)

Patrick et Julien MONTFORT ©BEP
Voilà plus de 40 ans que la Maison Julien de Savignac (JDS), premier marchand de vin de notre département, fait rayonner les vins de Bergerac. Retiré des affaires après avoir confié les clés de l’entreprise à son fils Julien en 2008, Patrick Montfort revient sur l’histoire d’un établissement qui compte en Périgord.

Plus que l’expression d’une passion pour le vin, d’un attachement à un terroir et aux hommes qui l’exploitent, l’entreprise Julien de Savignac, c’est aussi et surtout pour son créateur une affaire de partage et d’amitiés, qui s’est structurée au hasard de rencontres, d’opportunités, de travail et d’engagement, mais toujours avec la volonté de favoriser le contact humain.

Avant le vin, le foie gras

« Je voulais être paysan, se souvient Patrick Montfort, mais mes parents n’avaient pas suffisamment d’argent pour m’acheter une exploitation. J’ai fait un collège agricole, le lycée agricole de Coulounieix-Chamiers et un BTS de transformation, distribution, commercialisation des produits agricoles à Clermont-Ferrand ».

Au début des années 70, son embauche comme stagiaire chez Delpeyrat, la référence du foie gras, scelle en quelque sorte son destin professionnel, grâce à sa rencontre avec le patron Albert Carrier, qui le prend sous son aile et, conscient de son potentiel, le fait évoluer. Entré pour mettre en œuvre la surgélation du foie gras, il prend deux ans plus tard la responsabilité du marché truffes pour la restauration, avant de s’expatrier un an à Colmar pour lancer à seulement 25 ans, la société des foies gras de Colmar, (filiale des établissements Delpeyrat en Alsace). Seule condition posée par le « Père Carrier », qu’il officialise sa relation avec Nicole en se mariant.

Nicole et Patrick MONTFORT ©Bernard DUPUY

« C’était un patron extraordinaire, se remémore Patrick Montfort. Il m’a fait découvrir un autre monde ; celui de la table et du vin ». Un monde de luxe, de grandes tables, qui fait briller les yeux du jeune homme. Un patron qu’il n’oubliera jamais et avec lequel il restera en contact jusqu’à sa disparition. En sa mémoire, il rachète la distillerie de la Trappe à Sarlat en 2001, et la cède en 2006 à ses deux salariés. Il quitte les établissements Delpeyrat en 1978 pour intégrer la maison Rothschild, et prend la responsabilité d’un important secteur du Sud-Ouest, avec déjà en tête le projet de créer son entreprise.

Au début des années 80, il s’intéresse à l’affaire « Les caves Buguoises », dont le propriétaire septuagénaire songe à s’arrêter. « Je l’ai pris d’abord en gérance, explique Patrick Montfort, avant de l’acquérir à la fin de l’année 1982 ; non sans avoir négocié le statut d’agent commercial auprès de la Maison Rothschild », qu’il quitte en 1984, après avoir créé sa société. Au tout début, Patrick Montfort commercialise… du foie gras.

À l’occasion d’un voyage aux États-Unis avec d’autres agents commerciaux, l’un d’entre eux lui confie ne plus avoir de fournisseur de foie gras. Qu’à cela ne tienne ; il saisit cette opportunité et met en place un business en achetant les foies gras chez Delpeyrat, et en les commercialisant sous la marque Julien de Savignac.

De gauche à droite : Amélie, Cédric, Patrick, Nicole, Julien et Caline. ©Bernard DUPUY

Du vrac à la mise en bouteilles

« Le nom Julien de Savignac, c’est venu comme ça, relate Patrick Montfort ; nous venions d’avoir notre fils Julien avec mon épouse Nicole, et nous habitions Savignac de Miremont ».

Un nom qui sonne bien et dont les initiales JDS sont désormais bien mémorisées par les clients. Le jeune chef d’entreprise de 32 ans commence en 1983 le commerce du vin, « une époque où l’on vend le Mouton Cadet en barrique, se souvient-t-il, et où chaque village a son marchand de vin ».

Une période où le vin est consubstantiel de la vie en milieu rural où les bars sont légion, et où la consommation peut parfois être considérable. « Quand j’ai commencé, poursuit Patrick Montfort, on ne faisait que du vrac. Les gens achetaient leurs cubis. Certains clients buvaient facilement 5 l par jour ».

Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, on ne vend pas de Bergerac en Dordogne en 1983. On consomme du Cahors à Sarlat et du Bordeaux à Périgueux. « Le plus gros de la production, reprend Patrick Montfort, partait à Bordeaux en vrac, à Paris, et à l’export ; très peu de propriétaires mettaient en bouteille. Il y avait un vrai marché qualitatif à développer ».

Tout est alors à construire, pour valoriser et faire reconnaître le vignoble de Bergerac, dont il se dit à cette époque « que quand les vins de Bergerac franchissaient la Lidoire (cours d’eau affluent de la Dordogne en rive droite. NDLR), ils perdaient leur nationalité ». Un challenge relevé par le jeune chef d’entreprise en fédérant les vignerons bergeracois.

 

Un parti pris : les vins de Bergerac

Patrick Montfort confie la cave à Manuel Pascual (Manu pour les habitués), jeune apprenti de l’ancien propriétaire toujours salarié de JDS aujourd’hui, et part sur les routes pour tisser des partenariats avec les propriétaires viticoles. Des liens forts et étroits, scellés autour d’une bonne table, qui perdurent encore notamment avec les châteaux de la Jaubertie, de la Tour des gendres, des Eyssards, de Tiregand, pour ne citer qu’eux. « Certains d’entre eux faisaient un peu de mise en bouteilles comme le château de Panisseau, explique Patrick Montfort, et les viticulteurs commençaient à se dire qu’ils pouvaient faire autre chose que du vrac ».

Une évolution de l’état d’esprit dont Patrick Montfort se saisit pour convaincre ses partenaires de changer de perspective, et d’envisager dès lors la production en s’adaptant aux consommateurs, plutôt que de produire des vins en fonction du marché. Un vrai changement de positionnement encore d’actualité en 2024.

« Nous avons toujours voulu faire évoluer nos partenaires Bergeracois ; même si notre objectif premier était de vendre, c’était aussi et surtout de faire produire ce qui correspondait le mieux au consommateur, en faisant remonter toutes les informations aux viticulteurs ».

Patrick Montfort devient rapidement incontournable notamment dans le domaine de la restauration, un secteur professionnel avec lequel il a su nouer des relations partenariales fortes.  « Il a toujours attiré la confiance par son travail, son intelligence et ses compétences, se souvient Jacqueline Leymarie, restauratrice à la retraite ». À l’écoute des professionnels de la restauration, il a rendu de nombreux services. « Alors que les cartes des vins deviennent obligatoires dans les restaurants, il a pris à sa charge leur impression pour tous les restaurateurs de la Dordogne, poursuit Jacqueline », un geste tout particulièrement apprécié des professionnels et des vignerons bergeracois puisqu’elles proposent désormais les vins de Bergerac. Parti de rien, son sens de l’amitié, sa gentillesse, son honnêteté ont su conquérir un réseau de connaissances fidèles. « C’est une belle famille, conclut Jacqueline admirative ; et Julien en reprenant l’affaire a apporté de la modernité, tout en restant attaché aux valeurs familiales ». 

Au fil des années, la société créée par Patrick Montfort se développe et s’implique davantage dans le vignoble bergeracois en se lançant en 1998 dans la production de vin. Il acquiert 10 ha, dont 7 de vignes de Monbazillac au Clos l’Envège, exploités depuis par sa fille Amélie, gagnée elle aussi par la passion de la vigne et du vin, et son gendre œnologue Cédric. Dans la continuité, le jeune couple a racheté en 2008 le domaine Chateau Briand.

Avant de céder l’entreprise à son fils Julien en 2008, Patrick Montfort a entrepris la construction d’une nouvelle structure de 1300 m² au Bugue, regroupant une cave de 400 m², un dépôt et des bureaux ; sans compter l’ouverture de quatre boutiques ; Levallois-Perret dans les Hauts-de-Seine, Saint-Antoine à Paris, Sarlat et Périgueux.

Ambassadeur emblématique des vins de Bergerac, JDS devient dans les années 2000 une entreprise innovante et florissante. Une belle réussite obtenue grâce à un investissement professionnel intense et un haut niveau d’exigence.

Pour autant, Patrick Montfort n’oublie pas « de rendre ce qu’on lui a donné et de faire quelque chose de positif en apportant sa pierre à l’édifice d’instances professionnelles », auprès desquelles il s’engage dès les années 90. Deux fois président du Conseil interprofessionnel des vins de la région de Bergerac (CIVRB), président de la Fédération des négociants en vins de Bergerac et du Sud-Ouest (FNVBSO) et président du Conseil de l’IUT de Périgueux. Il sera également à l’origine de la création d’un diplôme de création-reprise d’entreprise.

©Bernard DUPUY

L’envie, le moteur d’une existence

Jouissant désormais d’une retraite bien méritée dans les Pyrénées-Orientales, Patrick Montfort s’est éloigné de la filière viticole.

« Ce n’est plus mon monde, lâche-t-il ». Des regrets ? « Quelques petites erreurs que j’aurais pu éviter, concède-t-il, même si les erreurs sont des expériences, comme le disait mon ami Bernard Giraudel » (ancien propriétaire du Vieux Logis à Trémolat – NDLR).

 Motivé depuis toujours par l’envie d’aller de l’avant et d’entreprendre, Patrick Montfort a été un chef d’entreprise à l’ancienne, ce qui n’a rien de péjoratif. Au bureau dès 4h du matin jusqu’à tard le soir, investi 365 jours par an, il s’est montré exigeant avec lui-même… mais aussi avec les autres.

« Je pense que j’ai été parfois un peu dur avec mes collaborateurs, confie-t-il ; je pouvais exiger d’eux ce que je pouvais faire en masse de travail ». Peut-être aussi le regret à peine voilé de ne pas avoir été suffisamment présent avec ses enfants car très occupé par ses activités professionnelles. « C’est là qu’ils sont le plus forts, finit-il par conclure ».

Cette force, cette passion qu’il leur a transmises, Julien et Amélie les ont investies de toutes leurs forces dans l’entreprise familiale, préservant son âme, et l’enrichissant de leur expérience, de leurs compétences, et de leurs valeurs. Un bel hommage rendu à leur père dont la fierté, bien que dissimulée par une ostensible pudeur, n’en est pas moins réelle et profonde.