Ah ! ces bonheurs de l’enfance passée au bord d’un cours d’eau avec les pieds nus sur les galets, les premières baignades, la découverte de la pêche… En inventant la vie du petit Abel qui doit un peu ressembler à la sienne, Gilles Ray partage sa passion de cette Dordogne qui coule autant sous ses yeux que dans ses veines. Il rêve en écoutant « le chant triste de la rivière ».

Entre roman et autofiction, “Dordogne blues” est tout à la fois un livre d’amour dédié à son pays, un témoignage presque ethnographique de la vie de ce coin de Périgord depuis les années cinquante et une saga de défense écologique au vrai sens du terme. Cet univers est peuplé de bateaux en bois à fond plat, de nasses, filets et autres harpons surnommés “fouïsse” que pêcheurs professionnels et braconniers savent utiliser à la perfection.
Il raconte un âge d’or de la rivière nourricière pour les descendants des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire qui peuplaient déjà ce pays. Au fil de son récit, l’auteur amène, par des touches de plus en plus larges, vers la fin de ce paradis. Pour construire les bâtiments et les routes, le lit de la rivière fut durant des décennies creusé pour extraire du gravier. Les frayères des poissons disparaissaient, les berges s’effondraient et la qualité des eaux se dégradaient. Les barrages qui se sont multipliés ont domestiqué le cours de l’eau. Les intérêts économiques passaient largement devant la vie et l’avenir du cours d’eau.
Des machines dynamitées

Cette histoire d’eau bleue devient plus féroce au fil des pages. Abel, l’enfant de la Dordogne, est devenu journaliste localier, témoin des combats des riverains pour sauver ce qui peut l’être encore. Sous une forme romancée, Gilles Ray évoque ces épisodes d’une actualité réelle, aujourd’hui presque oubliée, où certains ont fait parler la poudre pour stopper des machines éventrant toujours plus la rivière. Il y décrit les intérêts entre entrepreneurs, pouvoirs publics et politiques, insensibles à la nature, à la biodiversité, bref à un certain art de vivre. À force d’actions et de convictions durant dix ans, mais aussi parce que les temps ont changé, les dégradations se sont estompées.
Ce monde a doucement laissé sa place à celui du tourisme qui peuple les rives de campings, et la rivière de canoës et de gabarres. Les poissons aimables comme les barbeaux qui se laissaient attraper par les braconniers se font manger par les monstrueux silures importés d’Europe de l’Est. L’eau n’est plus ce qu’elle était avec les pollutions humaines et agricoles, parfois contaminée par des cyanobactéries. Voilà qui éclaire le blues du livre de Gilles Ray. Cet amoureux de la nature et du bien-être humain est malheureux de constater l’évolution de sa rivière.
• “Dordogne blues”, Gilles Ray, Éditions Fanlac, 265 pages, 18 euros.
Des petits films à visionner

Les Périgordins se régaleront à jouer au jeu d’identifier les personnages et les lieux que l’auteur a maquillés. Voyons quelle est cette belle commune au bord de l’eau qu’il nomme Garogeac ? Qui est donc ce journaliste rondouillard du quotidien régional nommé Paul Alain qui distribue des bonbons et porte un canotier ?
Gilles Ray est aussi un homme d’image (il a collaboré à Canal Plus et à Aqui TV). À la fin du livre, il donne des flashcodes qui permettent de visionner sur son smartphone de petits films avec des témoignages actuels et d’exceptionnelles images anciennes. Ces compléments visuels sont autant de partages de son amour pour la Dordogne. On les retrouve aussi sur sa chaîne YouTube.