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La médiation équine au centre de détention de Mauzac

DEDANS-DEHORS. Longtemps en avance en matière de conditions de détention, notamment par le caractère ouvert qui en fait son originalité, le centre de détention de Mauzac s’engage également sur des activités concrètes afin d’accompagner la réinsertion et de limiter la récidive. Un programme s’appuyant sur la médiation équine à visée thérapeutique y a été mis en œuvre avec succès en 2020 et sera reconduit en 2021.

Psychologue clinicienne de l’hôpital de Vauclaire*, Myriam Payenchet est à l’initiative de cette démarche. Avec des objectifs à court et long terme : pouvoir avancer avec des détenus n’adhérant pas aux soins, enrayer la répétition de leurs symptômes afin de favoriser une réinsertion réussie. Le centre de détention compte environ 80 % de délinquants sexuels venus de tout le territoire français. Leur suivi et leur évaluation s’avèrent parfois compliqués. Ils peuvent par exemple plonger dans des états dépressifs profonds, ou être dans le déni complet de leurs pulsions.

Pour la thérapeute, il est indispensable de n’être ni dans le jugement, ni dans la complaisance : « Certains peuvent essayer de susciter la compassion et doivent parvenir à prendre leur part de responsabilité dans les actes qu’ils ont commis. Si la personne perçoit sa responsabilité, elle peut agir dessus et changer. » La difficulté réside dans une dose d’équilibre à trouver dans la relation en tant que soignant : « Il y a toujours quelque chose de périlleux, d’inconfortable. »

Le lien, au cœur de la détention

Le programme décliné autour de la médiation équine présente l’intérêt d’associer tous les services évoluant en milieu carcéral : le pôle socioprofessionnel, le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), l’administration pénitentiaire et l’unité sanitaire. Chacun évoluant avec ses différences, en termes de culture professionnelle, de moyens et de vocabulaire. Mais chacun ayant son rôle à jouer auprès des détenus sans pour autant empiéter sur celui des autres.

Qu’il s’agisse pour Frédéric Haupais, officier pénitentiaire, « de réinventer de façon régulière les pratiques professionnelles » ou pour Myriam Payenchet « d’être en lien avec ses collègues sans céder sur son éthique et sa déontologie », c’est bien la volonté de renforcer un lien interservices qui préside, afin de faire évoluer la structure sur le fond

Ne pas être réduit à son acte

L’activité de médiation équine, construite avec les outils de l’éthologie, s’est  mise en place en septembre 2020, à raison d’une séance de trois heures chaque lundi jusqu’à fin novembre. Huit détenus répartis en deux groupes de quatre étaient accompagnés par quatre chevaux, deux monitrices d’équitation Cécile Mouillon et Isabelle Camus-Didier, trois surveillants, et trois soignants.

À la suite de séances consacrées aux soins et activités, chaque détenu a réalisé individuellement des exercices avec le cheval en liberté. Myriam insiste sur le fait que « Cécile traduisait le comportement du cheval sans poser de diagnostic sur la personne, afin de laisser à chaque participant la liberté de se saisir ou pas de ces interprétations ». Le principe étant de valoriser les ressources autant que les fragilités comme pour un être dans son entièreté, sans le réduire à son acte.

En parallèle des groupes de paroles mis en place tous les mois au centre de détention, des entretiens réguliers avec les thérapeutes, la médiation du cheval permet « une autre manière de travailler avec des personnes en leur ouvrant un espace de liberté. En les sortant du passage à l’acte, cela dit quelque chose de profond. À elles de faire par la suite des liens avec leur vie et leurs actes. »

Mobilisé par l’équidé et cherchant à réussir, le détenu reprend contact avec sa motivation. La manière dont il va réussir ou rater peut être révélatrice de mécanismes de défense parfois inconscients.

Des changements de comportements encourageants

L’expérience, reconduite en 2021 grâce au soutien financier de la Fondation Adrienne et Pierre Sommers, est réussie à plusieurs égards : selon Myriam Payenchet, « Les détenus ont fait l’expérience d’un changement complet dans leur existence et savent désormais que c’est possible d’être différent. Pour certains, cela a révélé des possibilités en eux qu’ils n’imaginaient pas. Pour d’autres, cela a montré certaines fragilités qu’ils ne voulaient pas voir et ils se sont trouvé en difficultés. »

S’il n’y a rien de miraculeux dans cette démarche, Frédéric Haupais souligne toutefois « des moments magiques, de communion totale avec le cheval. On a senti l’impact sur la personne détenue. Des sourires qui réapparaissent par exemple. Cette activité est une clef pour avancer, sortir ou entrer en soi. Ils s’en sont saisis à la mesure de leurs possibilités. » Même s’il s’agit de petits pas, Myriam souligne que « ces changements qui peuvent paraître infimes sont le début de quelque chose. À charge à nous de maintenir la porte ouverte et d’en ouvrir d’autres. »

En tant que thérapeute, elle a constaté chez certains patients des ressources qu’elle n’avait pas décelé : l’empathie notamment, mais aussi une vraie intelligence avec l’animal.

Une action pleinement aboutie qui confirme que la médiation du cheval constitue une approche fertile en découvertes sur soi et son rapport aux autres. Dans le cadre pénitentiaire, cela peut permettre, en complément du suivi thérapeutique, de reprendre la main sur son destin, en prenant conscience de ses actes, en acceptant sa responsabilité pour agir sur elle, et enrayer ainsi la mécanique de la récidive, gage d’une réinsertion réussie.

 

*Depuis la mise en vigueur de la loi de janvier 1994 qui a confié le parcours de soins en milieu pénitentiaire au ministère de la santé, une équipe pluridisciplinaire sanitaire intervient à Mauzac, de façon indépendante et autonome, tant sur le plan somatique que psychiatrique.

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Mauzac, centre semi-ouvert

Construit en 1986 à l’initiative du garde des Sceaux Robert Badinter, le Centre de Détention (CD) de Mauzac a la particularité d’être semi-ouvert. Il a été pensé sur le modèle d’un village permettant d’organiser la vie des détenus dans un espace fermé, favorisant toutefois le libre accès aux différentes activités. Premier en France à proposer les parloirs familiaux qui ont été généralisés par la suite, il est devenu CD national en 2000 et regroupe à 80 % des délinquants sexuels provenant de tout le territoire français. Les détenus ont la clé de leurs cellules de 7h à 20 h et se rendent en toute autonomie aux différentes activités qu’ils organisent. Ce principe de prison ouverte a été abandonné depuis au profit du développement du parc pénitentiaire pour faire face à la surpopulation carcérale.

Il est séparé par le canal de Lalinde de l’ancien centre construit en 1939, ayant servi de prison militaire durant la seconde guerre mondiale, et qui a été entièrement reconstruit en 2003 suite à un incendie.

Tout le travail de suivi thérapeutique et somatique effectué par l’unité sanitaire en partenariat étroit avec le pôle socio-professionnel, le SPIP et l’administration pénitentiaire, est de préparer le passage du dedans au dehors. Dans cette démarche, le lien familial est essentiel à préserver mais il peut s’avérer dégradé. Les familles peuvent refuser d’accepter l’acte commis tant il renvoie à des dimensions tabous et rompre le lien. Par ailleurs, les contraintes pour les familles sont nombreuses : la distance, les frais engendrés… Les visites rythmant la détention, les proches viennent de toute la France et l’association Passerelle met à leur disposition un lieu d’accueil et d’hébergement;

Tout est mis en œuvre à Mauzac pour que le détenu prenne conscience de la gravité des actes commis, qu’il en accepte sa part de responsabilité afin de pouvoir travailler sur une possible réinsertion en évitant la récidive.