Accueil BIEN naturel Être vachère en 2025, un métier et une passion

Être vachère en 2025, un métier et une passion

VACHEMENT BIEN. Élisabeth Estignard se consacre à l'élevage bovin depuis plus de 20 ans, sous statut salarié pour un domaine du Périgord noir. Elle nous éclaire sur ses motivations, ses missions et responsabilités, les difficultés et les plaisirs de cette vie.

Il est peu de métiers que les femmes ne puissent exercer sauf, peut-être, dans le domaine de l’agriculture et notamment de l’élevage : être seule comme responsable d’exploitation reste une profession marginale en France pour une femme. Certes, des couples travaillent ensemble dans un domaine agricole, mais la direction, l’organisation du travail incombent très rarement à la seule femme.

C’est justement l’activité d’Élisabeth Estignard qui raconte comment est née sa passion, car il faut être passionnée pour se consacrer à l’élevage de bovins et de tout ce qui s’y rattache. Élisabeth est depuis 21 ans vachère salariée dans un domaine à Saint-Amand-de-Coly. Elle n’a jamais regretté son choix.

• Comment devient-on vachère, Élisabeth ?

Mon père était chef de culture dans une exploitation dans la Marne. Dès l’enfance, j’ai vécu proche de la nature, des animaux de la ferme et j’ai toujours rêvé de m’acheter une exploitation agricole avec des bêtes. C’est pour ça que j’ai fait des études plus tard pour passer un bac pro agricole. C’était à Lapalisse, dans l’Allier. Mon ambition était évidemment d’avoir une exploitation à moi mais comme je n’étais pas une héritière, ça n’a pas été possible.

• Vous n’êtes pas périgourdine d’origine, quel a donc été votre parcours avant de venir ici ?

J’ai commencé à travailler dans la Loire. J’avais la charge d’un troupeau d’une soixantaine de vaches, des Salers. Ce sont des bêtes faciles, dociles et intelligentes. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les vaches comprennent vite ce qu’elles ont à faire, ce qu’on leur demande, alors qu’il faut faire répéter longtemps les mêmes gestes aux chevaux pour qu’ils les acquièrent. Ensuite, je suis venue ici, en 2004, en répondant à une annonce d’embauche pour un poste qui correspondait à mes attentes : s’occuper d’un bel élevage de bovins en tant que salariée. Je suis aujourd’hui responsable d’exploitation, c’est-à-dire de tout ce qui concerne l’entretien du cheptel, de l’étable, de l’environnement, des terres. Et je suis locataire dans une maison qui appartient à la propriété.

• En quoi consistent précisément vos tâches ?

Les travaux sont très variés. Je m’occupe d’abord du troupeau, toujours d’une centaine de bêtes, veaux et vaches, toutes des limousines. La propriété compte 212 hectares mais elles vivent sur une surface de 53 hectares de prés, ce qui est insuffisant. Il en faudrait une vingtaine de plus, donc j’achète le foin manquant. Elles sont nourries exclusivement d’herbe et de foin, jamais d’ensilage et de céréales.

• Nous sommes devant un bâtiment impressionnant par sa taille et son architecture. C’est bien l’étable ?

Cette étable a été construite vers 1916, par des élèves d’Eiffel, d’où sa structure métallique intérieure très particulière, et elle a été modernisée dans les années 1970. Il y a eu des moutons à une époque lointaine, et certainement des vaches aussi. En tout cas l’élevage de bovins est continu depuis les années cinquante, avec les propriétaires actuels. Une source captée assez loin remonte l’eau à l’aide de pompage jusqu’à une réserve qui dessert l’étable. Les bêtes sont généralement dans les prés toute l’année, mais je rentre celles qui sont en phase de sevrage et de vêlage.

• Il arrive qu’il y ait des problèmes de vêlage ?

Non, rarement, parce que je choisis depuis longtemps des taureaux qui ne produisent pas de gros veaux à la naissance. Ça m’arrange bien parce que le véto est à Thenon, donc assez loin de la propriété. C’est un problème pour tous les éleveurs : les vétérinaires soignent plus volontiers chats et chiens que vaches et moutons…

• Comment gérez-vous le cheptel, le cycle de vie des vaches ?

J’ai la charge des achats et des ventes. Les veaux sont nourris par la mère pendant 8, 9 mois, et quand ils atteignent 280 à 300 kg, ils sont vendus. Certains sont gardés pour être des reproducteurs, des taureaux donc, d’autres restent à l’engraissage jusqu’à 20 mois et ils iront à l’abattoir. Je vends certaines femelles adultes, j’en garde toujours pour leur capital génétique intéressant et je n’achète que des taureaux. Il y a toujours deux taureaux, pour une quarantaine de bêtes à saillir. Ils ont bien sûr des noms : en ce moment j’ai Pégase, qui a 6 ans, et Twix, 3 ans. Je les achète chez des éleveurs sélectionneurs, uniquement en Dordogne. Toutes les mères ont aussi un nom, c’est une tradition ancienne.

• Cette propriété est très étendue, vous ne pouvez pas tout faire, ni être disponible non-stop ?

Je ne suis pas vraiment seule, un collègue qui travaille à l’entretien de la propriété assure les gardes du troupeau un week-end sur deux. À côté des bêtes, il faut gérer le matériel et les outils, cela va du tracteur à la tronçonneuse, il faut maintenir l’étable propre, répandre le fumier dans les prés, rentrer le foin…, bref tous les travaux liés à l’élevage d’un troupeau. Nous nous occupons aussi des bois, il arrive régulièrement qu’un arbre tombe, souvent sur un chemin, et il faut le débiter. En dehors de notre week-end de libre une fois sur deux, nous avons comme tout salarié cinq semaines de congés annuels. Mais je n’en prends pas plus de trois en réalité. Pourquoi partir en vacances, aller loin, alors que je suis bien ici ?

• On voit au-dessus de la porte de l’étable un alignement de médailles de concours anciennes. La tradition s’est perpétuée ?

Nous ne faisons plus de concours comme ça a été le cas pendant très longtemps. C’était une passion pour moi, comme pour mon précédent collègue, mais cela demande beaucoup de temps et je ne l’ai plus. Il faut en effet passer beaucoup de temps pour habituer le taureau à être conduit à la corde, il faut le brosser pour qu’il ait la meilleure apparence possible, il faut aussi qu’il s’habitue aux bruits, à des bruits qu’il ne connaît pas du tout. Je regrette parfois ce temps où nous apprenions aux taureaux à se présenter au public… Mais il faudrait être deux pour gérer ces journées de concours, généralement un dimanche, où il faut pouvoir soigner les bêtes de très bonne heure avant de partir, et le soir tard au retour. Il faut être passionné !

• Vous n’envisagez pas de faire autre chose ?

Ah non. D’abord c’est trop tard maintenant et puis surtout je ne me vois pas faire autre chose. J’ai trouvé ma voie et puis je suis trop bien dans ce coin de Dordogne !

Chantal TANET