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Vesunna vécu de l’intérieur

Avec Jean Nouvel, lors d'une visite surprise en 2022
Avec Jean Nouvel, lors d'une visite surprise en 2022 © Archives Vesunna
MUSE ET MUSÉE. Cette fin d’année marque l'arrêt “officiel” de l’aventure qui unit Élisabeth Pénisson à Vesunna : la conservatrice et directrice était arrivée à Périgueux dès la préfiguration du musée gallo-romain, en 1996. Trente ans plus tard, l’heure de la retraite arrivée, elle lui reste très attachée. Remontons le fil du temps et des souvenirs.

Élisabeth Pénisson a d’abord été conservatrice au musée du château des ducs de Bretagne — maintenant Musée de Nantes —, plus particulièrement chargée de la vie économique et industrielle, sa spécialité d’alors, notamment l’activité portuaire de la ville. Elle est ensuite partie pour Auch, au musée des Jacobins, en 1993. « J’avais envie de prendre la direction d’un établissement. Cette petite structure avait une très bonne réputation, un musée d’histoire de ville, polyvalent, avec plusieurs collections de grand intérêt dont un fonds précolombien exceptionnel, la 3e collection de France, qui lui donne maintenant son nom de Musée des Amériques. On avait aussi des collections photographiques, de costumes régionaux, des horizons très différents. »

Fusionner les expériences

Élisabeth Pénisson devant Vesunna
Élisabeth Pénisson devant Vesunna © H.C.

Lorsqu’elle arrive à Périgueux, l’archéologie est déjà un centre d’intérêt pour Élisabeth Pénisson. « C’était un de mes domaines de travail puisqu’à Auch, on conservait également des collections archéologiques, en particulier gallo-romaines, peu nombreuses mais assez réputées. » Le profil idéal pour le poste qui s’ouvrait afin de créer le musée Vesunna : le concours d’architecte venait d’avoir lieu et il n’y avait pas encore de conservateur. Tout était à construire à partir d’un projet architectural établi mais sans contenu établi. « On savait évidemment qu’un bâtiment allait surplomber les vestiges de ces grandes maisons gallo-romaines, qu’il y aurait des collections à présenter et un propos à développer, mais rien n’était décidé. »

Prendre les choses à l’origine

Avec l'équipe, lors des 20 ans de Vesunna
Avec l’équipe, lors des 20 ans de Vesunna © H.C.

Élisabeth Pénisson s’est ainsi occupée de la muséographie, c’est-à-dire de la totalité des contenus à présenter en cohérence avec le site et le bâtiment. « C’était une première pour moi, mes deux expériences préalables m’ont beaucoup aidée. À Nantes, on avait la chance d’avoir de gros moyens pour construire des expositions temporaires, j’avais cette expérience de construire des parcours, d’aménager des collections avec des contraintes, sur des gros volumes. À Auch, la direction d’établissement m’avait aussi apporté cette expérience : le musée étant installé dans un château en cours de restauration, j’avais suivi pas mal de réunions pour ces travaux… Finalement, j’avais le bon profil, je me suis présentée en tant que muséographe et non pas archéologue, ça m’a permis de fédérer les chercheurs. On a tous pris du plaisir à travailler en complémentarité », analyse celle qui allait désormais se consacrer à l’Antiquité romaine.

En coordonnant le projet sur cette base d’échanges fructueux, elle s’est fait des amis parmi eux, « on a vraiment passé quelques années de travail intense et difficile, parce qu’on était sous la pression d’un projet à rendre. Tout s’est très bien passé : j’ai eu la chance d’être ainsi formée par les meilleurs spécialistes ».

Fédérer les énergies

Élisabeth Pénisson devant Vesunna
Élisabeth Pénisson devant Vesunna © H.C.

La spécificité d’un musée de site, c’est d’associer un lieu archéologique et un projet muséal. « C’était d’une grande complexité en termes de configuration pour conserver des collections archéologiques fragiles, c’était un challenge d’arriver à les présenter sur site. Ce choix muséographique avait été fait avant mon arrivée, il posait des difficultés supplémentaires. Si j’avais pu me battre avant pour que le musée soit à côté du site, je l’aurais fait, pour des raisons de circulation et de conservation ; mais on n’aurait pas eu ce résultat esthétique, donc c’est bien d’avoir réussi à composer avec cette réalité. Intellectuellement, c’est intéressant, j’aime jouer avec ces contraintes pour en tirer le meilleur parti. » Et ceci avec un cabinet d’architecture ultra célèbre, celui de Jean Nouvel, enfant du pays et star internationale de sa spécialité. Une pression de plus à gérer. « Ce n’était pas évident, je n’avais jamais fait ça et aucun de mes collègues de la ville de Périgueux n’avait travaillé avec un architecte de cette envergure. Ça s’est bien passé parce qu’on a eu la chance de pouvoir être accompagnés avant la sélection des entreprises, on a été guidés par ce qui s’appelait à l’époque la Mission des grands travaux, avec les architectes qui ont piloté tous les grands projets de François Mitterrand, constitués en agence. Fort de leurs grandes expériences, ils m’ont bien conseillée ainsi que mes collègues des services techniques de la Ville, qui suivaient aussi le projet dans leur domaine. Ils m’ont évité de perdre du temps et aidée à choisir des outils de travail. »

Identification d’un musée

La dernière exposition temporaire de 2025
La dernière exposition temporaire de 2025 © H.C.

Une fois sortie de cette période de pression intense de construction, où on l’a beaucoup vue sur le chantier, casque vissé sur la tête, Élisabeth a fait vivre un lieu et une équipe. « Ça a été encore une fois très particulier puisque la Ville avait fait le choix de déléguer l’ouverture au public, et j’ai donc d’abord été conservatrice sans être gestionnaire, ce qui est un peu compliqué. J’avais beaucoup œuvré pour lancer un nouveau service et c’était assez frustrant de ne pas aller au bout. » Avec le recul, elle voit l’utilité de ces quatre années qui lui ont permis d’avancer sur de gros dossiers scientifiques pour obtenir l’appellation musée de France, « on a fait des campagnes d’études des peintures qui nous ont permis d’évoluer, on a pu réaliser toutes les maquettes des monuments et continuer à avancer avec le comité scientifique, dans les coulisses ».

Finalement, la délégation de service public a cessé et la Ville a repris la gestion directe en 2008. La priorité de sa directrice était alors d’imposer ce musée, pas encore assez repéré parmi tous ceux que comptait la Dordogne. « Il fallait d’abord que les Périgourdins eux-mêmes l’identifient, que les enseignants viennent avec leurs élèves. » Un travail de plusieurs années a permis de faire venir ce public local, pour lui faire comprendre et apprécier ce lieu, « surtout pas réservé à une élite latiniste ; c’est un challenge qu’on a réussi avec l’équipe, on y reçoit aussi bien— et avec autant de plaisir pour eux — les maternelles et les étudiants en archéologie, les habitants de Périgueux viennent et reviennent. Il y a plusieurs niveaux de lecture du site, on peut y entrer à tous les âges. Et on peut le découvrir quand on est touriste ».

Sur cette base, le guide Michelin a attribué trois étoiles à Vesunna, couronnant aussi bien un site qu’une expérience de visite. À partir de 2013, le pari de l’accueil était gagné et il a fallu trouver un rythme de programmation régulier pour ne pas s’endormir sur ses lauriers et mettre l’accent sur l’organisation d’événements et d’expositions d’envergure, avec une ambition scientifique, ce qui demande du temps de préparation, avec une nouvelle expo chaque année à anticiper.

Nouveau départ

L'équipe de Vesunna pour l'exposition Agatha Christie en 2023
L’équipe de Vesunna pour l’exposition Agatha Christie en 2023 © H.C.

La période récente était forcément difficile à traverser pour Élisabeth Pénisson, avec un horizon de départ auquel elle s’est préparée, « avec de bonnes opportunités et la possibilité de faire des passages de relais progressifs, avec une dernière expo de médiation qui m’a laissé un peu plus de temps pour me consacrer à un document officiel dont on a absolument besoin pour les années à venir, le projet scientifique et culturel 2025-2030 qui est à la fois un bilan et une ligne de conduite pour l’avenir ». De quoi vibrer encore un peu dans le temps et dans l’espace de Vesunna. Ce document « de transmission » a été présenté au Conseil municipal. Il s’inscrit, à l’échelle de la direction des musées, dans un important projet de réserves mutualisées pour les collections, pour débloquer un financement à partir de schémas directeurs. La directrice en partance s’est ainsi malgré tout projetée dans l’avenir, elle a surtout évalué de nombreux points positifs dans ce bilan, « et ça m’a permis, peut être aussi, de me détacher : j’aurais regretté de pas pouvoir le faire ».

Souvenirs, souvenirs

La conservatrice et un dromadaire pour l'animation des 20 ans du musée
La conservatrice et un dromadaire pour l’animation des 20 ans du musée © H.C.

Le changement de rythme amorcé durant cette année et ce point d’ensemble, à l’heure où elle laisse derrière elle une importante partie de son histoire, pince un peu le cœur d’Élisabeth, « le départ n’est jamais facile quand on se sent bien quelque part », mais la satisfaction du devoir accompli avec ce métier passion lui donne l’élan pour faire autre chose. Elle ne manquera pas de venir écouter ou regarder ce qui se passera ici, de l’autre côté de la barrière. En se souvenant des grands moments qui l’ont vraiment marquée, comme les quelques mois qui ont précédé l’ouverture du musée, en 2003, « parce que c’est vraiment quelque chose de très intense ».

Pour les 20 ans du musée en 2023, avec le gâteau
Pour les 20 ans du musée en 2023, avec le gâteau © H.C.

Les deux autres grands moments ont été le programme organisé autour des 10 ans du musée, puis autour des 20 ans. Sur cette année 2023, elle s’est régalée en préparant l’expo sur Agatha Christie, « la plus importante sur laquelle j’ai travaillé, j’y ai embarqué beaucoup de personnes et c’était un succès public, avec des archéologues venus de presque toute l’Europe pour reconstituer un camp du Moyen-Orient avec les dromadaires, les momies, un bon moment de plaisir ». C’est en lisant l’autobiographie de la célèbre romancière, mariée à l’archéologue Max Mallowan, que lui était venue l’idée de “creuser” le sujet et d’imaginer une exposition qui n’avait encore jamais été réalisée en France (avec la complicité du Louvre qui a prêté des objets parmi ses antiquités orientales) à partir du carnet de route où la romancière retrace, avec humour, sa vie au plus près des fouilles. Parmi d’autres grands moments de complicité avec son équipe et avec le public, la directrice de Vesunna évoque aussi les séquences estivales avec Christian Chevillot et de spectaculaires combats de gladiateurs.

Et maintenant…

Cadeaux de son équipe pour sa retraite
Les cadeaux de son équipe pour sa retraite © H.C.

Pas question pour elle de s’arrêter en si bon chemin sur le terrain de l’archéologie et de tout ce que le Périgord peut encore lui offrir. « Pour l’instant, je me sens en vacances, j’apprécie, et ça va continuer un peu car j’en avais vraiment besoin. Je vais prendre du temps pour ma famille. » La vie associative devrait bientôt bénéficier de son énergie et de ses lumières, mais elle n’a pas encore choisi où elle pourrait trouver sa place, « ça va se faire tranquillement » et elle ne va pas manquer d’être sollicitée.

En attendant, elle prend des cours d’anglais, « c’est un grand luxe de pouvoir faire des choses toutes simples dont on n’avait pas le temps » (et toujours utile pour aller voir sa fille qui vit à Londres !). Apprendre, toujours, cultiver une curiosité qui ne la quitte pas. Ainsi, des publications ou des livres ne devraient pas tarder à voir le jour, car Élisabeth devrait reprendre des recherches : le métier de chef d’établissement la privait finalement « de la part du métier qu’on aime le plus en général, la partie scientifique » ; et on lui souhaite de belles années pour qu’elle puisse se rattraper, « je pense à pas mal de sujets sur lesquels avancer ».

• Gaëlle Gautier, précédemment à la direction de l’archéologie et du patrimoine au Département de la Dordogne, est en poste depuis le printemps 2024 à Périgueux. Passée par l’École du Louvre, spécialiste de l’archéologie romaine, la conservatrice du patrimoine a pris la direction des deux musées de la Ville : le Musée d’art et d’archéologie du Périgord et Vesunna. Une autre page d’histoire va s’écrire, dans un esprit de mutualisation des compétences, tout en conservant l’identité de chacun.