Accueil BIEN ailleurs Un mode de journalisme plus qu’un journalisme à la mode

Un mode de journalisme plus qu’un journalisme à la mode

Mémona Hintermann et Gilles Vanderpooten © SBT
PRESSE. Dans le cadre des Tribunes de la presse, proposées sur le thème 2022 de la Guerre des identités, deux rencontres concernaient directement la presse. À la fois victime des mutations actuelles et capable de se réinventer : les schémas traditionnels s’effondrent, de nouvelles relations citoyennes aux médias fleurissent. BIEN en Périgord se veut résolument de ce courant-là, en quête de solutions.

Fin novembre, Les Tribunes de la presse proposées à Bordeaux à l’initiative de la Région Nouvelle-Aquitaine ont exploré les différentes facettes de nos identités : la Nation, la religion, le genre, l’ADN, l’origine sociale, l’existence numérique, la reconnaissance faciale ou encore « les marques d’indépendance » à fleur de peau que sont les piercing et tatouage. Beaucoup d’interventions sont à retrouver en rediffusion.

Dans cette galerie mêlant introspection de classe et de genre (fructueux dialogue entre la sociologue Rose-Marie Lagrave et la professeure de philosophe Mazarine Pingeot, qui enseigne depuis cette rentrée à Sciences Po Bordeaux) et ouverture au monde (notre place dans l’univers), deux rencontres concernaient plus précisément la presse, reflet de toutes les identités et soumise à la nécessité de survivre sans trahir ses lecteurs ni ses sujets.

Sortir des standards

Consommer moins mais mieux : ce qui s’applique à l’alimentation — cela demande quelque moyen, à moins qu’il ne s’agisse d’un rééquilibrage de ses priorités — vaut aussi pour ses choix d’information. Une gageure dans un paysage brouillé où réseaux et médias se croisent et se confondent, journalistes et blogueurs figurant dans les mêmes fichiers de contacts, où la presse écrite payante se condamne à terme par sa vitrine numérique tandis que la presse en ligne cherche une visibilité dans le flot digital en s’essayant à quelques éditions papier. Sans parler de la fusion progressive entre radio et télé.

De superpositions en suppositions, professionnels et citoyens au mieux s’interrogent sur leurs pratiques, au pire rompent le dialogue. Il se peut alors qu’affirmer une identité, se distinguer par un positionnement ou une signature forte relève de la survie éditoriale. Et démocratique.

Imprimer sa marque

Pour se réinventer dans une société de turbulences et de flux numériques incontrôlés, tout en jouant la carte de l’utilité à son prochain, le journalisme de solutions a pris de l’avance sur ce que disent attendre 8 Français sur 10 : une information positive, capable de faire émerger des initiatives constructives. Un sujet abordé dans les locaux de l’Ijba, le lieu idéal, avec le directeur de Reporters d’espoirs, Gilles Vanderpooten, et Mémona Hintermann, qui a retracé son parcours, de La Réunion où le déterminisme social aurait pu l’oublier à ses engagements de grand reporter, membre du CSA et d’auteure, sans jamais perdre de vue la promotion de la diversité et l’égalité des chances, et les attentes de la jeunesse. Le journalisme de solutions ne pouvait que lui parler et elle s’implique aux côtés de Reporters d’espoirs.

© SBT

Donner à réfléchir, faire avancer le monde

« Donner envie d’agir », voilà le souci de cette ONG pionnière du genre : depuis 2004, elle promeut le lien vertueux entre les initiatives de terrain et leur diffusion, pour renouer avec une confiance citoyenne tout en dénouant « des problèmes écologiques, économiques et sociaux ». Voulue par des journalistes, des entrepreneurs, des acteurs d’horizon différents qui ont trouvé, ici et ailleurs, des réponses dans des situations difficiles, elle est à l’origine d’un prix qui met en lumière des actions et ceux qui les portent.

Reflet de la complexité

L’exemplarité et la volonté d’être utile nourrit une quête de sens qui fait la une des attentes post-Covid. L’émergence de cette forme de journalisme « est un reflet de la complexité et montre autre chose que le monde qui tombe » souligne Gilles Vanderpooten. Celles et ceux qui résistent, proposent et innovent sortent des replis confidentiels de l’actualité. La mise en lumière de ces parcours a un effet rassembleur et permet même d’éditer une revue : le premier numéro semestriel du meilleur de Reporters d’Espoirs vient de naître, avec des histoires et des acteurs de solutions, qu’il s’agisse de lien social, d’environnement, de culture, d’économie et d’entreprise. « Au-delà d’une sélection de reportages, c’est une réflexion sur la façon dont les médias peuvent avoir un impact positif sur la société. »

Montrer des impacts concrets

Une base de données est en coconstruction pour partager 5000 initiatives en France et dans le monde qui méritent un traitement médiatique. « On s’est intéressés il y a deux ans au climat et on voit aujourd’hui l’engagement de rédactions pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique ; mais aussi l’ESS, avec des alternatives économiques. »

Gilles Vanderpooten © SBT

L’ONG constate que le caractère anxiogène de l’information crée de la défiance : le public zappe et passe à autre chose. « Une étude récente dit que 36 % des jeunes (13-25 ans) se détournent parce qu’elle est trop négative et vont vers le divertissement. Notre démarche consiste à savoir comment recréer la confiance et l’intérêt pour une information de qualité, faite par des journalistes. » Transitions agricoles, maisons partagées entre personnes valides et handicapées, services civiques ranimant dans des villages des projets qui sommeillaient… les sujets mobilisateurs sont nombreux. Et l’expérience montre qu’une initiative isolée, une AMAP à Toulon, peut émerger pour arriver à 4000 sites aujourd’hui. « On a besoin d’une presse qui parle des gens, des entreprises, des associations, des collectivités qui se mettent en mouvement, pour aider à se projeter ».

Susciter l’intérêt jusqu’à l’action

Le journalisme de solutions est devenu un mouvement de fond, avec des rubriques dédiées et même des médias entiers sur ce parti-pris. Les études menées montrent que l’apport de solutions « donne envie de lire, de s’informer, voire de s’engager ». Une méthodologie de ce journalisme est enseignée dans les écoles, « on a des preuves que ça fonctionne même si ça ne résout pas tous les problèmes de défiance envers les médias. Rendre les lignes éditoriales plus constructives permet au public de trouver de l’intérêt, une capacité à agir, à s’engager dans la cité. »

Ce journalisme qui demande du temps, appelle un suivi et des contacts à cultiver, constitue lui-même une solution pour rendre la presse moins « inodore et incolore », l’autre thème des Tribunes dédié au sort des journaux, victimes de désaffection.