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Santé : territoire en souffrance, solutions en test

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SOS SANTÉ. Difficultés d’accès aux soins ? Un souci croissant en Dordogne où le désert médical gagne du terrain, et pas seulement en milieu rural. Le Département organisait vendredi 15 mars des Assises départementales de la santé, avec deux tables rondes, pour un état des lieux et des solutions à apporter à cette question vitale pour les Périgourdins.

En ouverture de ces Assises, Germinal Peiro rappelle ce qu’a engagé le Département qu’il préside pour pallier la raréfaction des médecins : la mise en place d’un prêt d’honneur depuis 8 ans (6000 euros sur trois ans sans caution ni intérêt), une bourse de 2400 euros par an dès la 2e année avec engagement de passer 5 ans en Dordogne (avec pour premier dossier celui d’un étudiant de dernière année !), une bourse pour les internes (déplacement, logement) et la création du site internet Soigner en Périgord créé avec la Cpam 24, qui va bientôt évoluer pour mieux informer et accompagner les professions médicales dans leur installation. Le département, en plus de la création de centres départementaux, vient en aide aux 55 maisons pluridisciplinaires de santé, souvent portées par des intercommunalités, pour mailler le territoire.

Coordination départementale

Jean-Sébastien Lamontagne, préfet, revient sur l’état d’esprit du conseil national de la refondation et la nécessité de promouvoir les outils de l’État pour tenir : si le numerus clausus est supprimé depuis 2017, les effets ne seront ressentis qu’en 2026-2028. Libérer du temps médical permettra aux médecins de se concentrer sur leur cœur de métier, en déléguant à d’autres professionnels de santé. Coordonner ces professionnels à l’échelle de territoires décidés par eux fera avancer les discussions avec les représentants des usagers. La dynamique est à l’œuvre avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; de la discussion et du travail avec les élus découlera l’optimisation des lieux d’installation.

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Volonté politique

Mireille Volpato, vice-présidente du Département chargée de la solidarité, dit son espoir, en aidant les jeunes du Périgord à commencer leurs études de médecine ici, de les voir y revenir pour s’installer. Elle rappelle que le Département s’est saisi d’une compétence santé qu’il n’a pas pour répondre à une carence préoccupante, à la croisée du constat de personnes âgées et isolées en milieu rural et de médecins proches de la retraite. Les centres départementaux de santé s’inspirent du modèle des dispensaires, avec un personnel administratif et des médecins salariés par le Département : Excideuil (2019), Saint-Médard de Mussidan, Saint-Astier (avec l’hôpital), Ribérac, Saint-Léon sur l’Isle et bientôt Nontron. Avec 33 000 consultations en 2023 (+ 40 %), il apparaît que 5 500 patients ont choisi ces 17 médecins (8,7 équivalents temps plein) comme référents.

« Sur les 9 300 foyers allocataires du RSA, 30 % rencontrent des problèmes de santé. « Nous avons créé un service unique : des infirmiers d’insertion aident ces personnes à accéder à leurs droits, les accompagnent dans un parcours de santé, y compris vers des spécialistes hors Dordogne. »

Accès aux droits

Bruno Hammel, président du conseil de l’Ordre des médecins, situe la moyenne d’âge des médecins en Dordogne à 57 ans. Son analyse de la situation actuelle repose sur un constat : il y a trois fois plus de médecins aujourd’hui en France que dans les années 70… mais la population était alors plus jeune, et les 35h ont poussé les jeunes médecins vers des taux horaire inférieurs. « L’Ordre a peu de pouvoirs décisionnaires mais il a une connaissance du terrain.» Et il se dit favorable à des infirmiers en pratique avancée (IPA), formés en ce sens et encadrés pour effectuer des actes. Avec les CPTS pour socle indispensable.

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Delphine Camblanne, directrice de la CPAM 24, aborde aussi la question de l’accessibilité financière aux soins : 5 000 personnes n’activent pas le droit à la complémentaire santé en Dordogne. Pour dégager du temps médical, elle soutient la solution d’inviter les professionnels à travailler ensemble. « Si la densité médicale en Dordogne est faible, de même pour les dentistes ; les infirmiers, les kinés, les sage-femmes sont plutôt bien représentés : l’opportunité est à saisir. »

On observe désormais que 5 500 personnes atteintes par des affections longue durée n’ont pas de médecin traitant pour les accompagner dans leur parcours soin. 1500 en ont trouvé grâce à mobilisation actuelle, avec une prise de patientèle supplémentaire chez les médecins libéraux.

Une place pour chacun

45 assistants médicaux sont à l’œuvre en Dordogne, employés par des médecins qui leur confient un périmètre d’action : aide administrative (lien avec la Mdph, facturation, préparation de consultation, point sur le dépistage organisé…) ou infirmière. Ces recrutements permettent de dégager 20 à 30 % de temps médical. « C’est un format d’équipe performant, plus adapté à une maison de santé car il faut de la place », le modèle n’étant plus au cabinet solo. Tout le monde a sa place dans la pluralité de l’offre de soin de premier recours, l’essentiel étant de se coordonner.

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Dans un contexte de compétences élargies, les infirmiers IPA (seulement deux pour le moment) suivent les patients en affection chronique stabilisée (diabète, etc.) ; des infirmiers Asalée (Asso) s’investissent dans l’éducation thérapeutique du patient dans les structures pluriprofessionnelles. Le pharmacien correspondant, professionnel de santé de proximité, intervient sur le traitement en cas de problème de rendez-vous chez le généraliste.

Il importe que les usagers connaissent et utilisent ces compétences. Six protocoles de coopération existent pour des prises en charge spécifiques (cystite, entorses…). La téléconsultation est un outil complémentaire (télé-expertise).

Un site internet dédié perfectionné

Soigner en Périgord, site internet d’information pour les professionnels de santé, s’enrichit pour les attirer avec un nouveau service Présence médicale 24, élargi aux dentistes. Il était difficile d’entrer en contact avec ceux qui le visitaient, afin de les orienter vers le lieu d’installation le plus opportun (accompagnement ARS et Cpam). Que ce soit en libéral, salarié ou mixte, une réponse existe dès le début du projet pour prendre en compte les questions de logement, scolarité, emploi du conjoint, etc. avec des interlocuteurs directs sur chaque thème. Dans cette rencontre d’une envie de s’installer et d’un besoin de la population, des dispositifs financiers sont prévus pour les zones déficitaires.

Didier Couteaud, délégué départemental de l’ARS en Dordogne, assure que le nombre de réussite au concours augmente et que la 4e année d’internat va permettre de répartir des médecins juniors sur le territoire pendant un an : « il importe de bien les accueillir, de leur donner envie de rester ».

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Sylvie Eymard, directrice adjointe de l’ARS pour la Dordogne, rappelle des missions de veille sanitaire et de santé publique : prévention, dépistage, vaccination… Elle évoque un appel à projet local original pour un médicobus itinérant, de quoi amener le médecin traitant au plus près et améliorer la prévention.

L’exemple CPTS en Bergeracois

Laetitia Carlier, coordinatrice CPTS Bergerac, témoigne du rôle d’interface en représentant les professionnels de santé du territoire et de la capacité à fédérer les acteurs locaux pour travailler ensemble (délégation de tâches, etc.) en se connaissant mieux. Un village de prévention grand public et scolaires (hygiène des mains, santé sexuelle, premiers secours… ) a attiré 1000 visiteurs en 2023. Une autre édition est prévue en 2025.

Le CPTS travaille sur le socle : accès et parcours de soin, prévention, attractivité locale. Il y est question de service d’accès aux soins, protocoles de coopération, déficit en psychiatrie, action RV 48h chrono chez un spécialiste…

Des oreilles attentives

Dans le public, Claudine Le Barbier (ACCDM en 24) déplore entendre peu parler des associations d’usagers lors de ces Assises, « la santé est un droit constitutionnel ». L’ACCDM milite pour limiter le temps de remplacement des nouveaux médecins à trois ans et pour limiter le conventionnement dans les zones bien pourvues. En écho au constat du docteur Hammel quant au deuxième recours et avis spécialisé (« Quand on dit à un jeune médecin que le prochain RV ORL est le 30 décembre 2025 alors qu’il est quasi immédiat en ville, »), elle propose de penser à des consultations avancées qui pourraient apaiser leur crainte concernant l’accès aux spécialistes.

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Un maire de petite commune, inquiet de la dégradation de l’état mental depuis le Covid, s’interroge sur l’état de la psychiatrie et la directrice de la CPAM 24 assure s’investir là-dessus, avec la CPTS : il est question de tripler le nombre de 13 psy conventionnés. Sylvie Eymard ajoute que s’il manque des psychiatres, il existe des dispositifs : contrat local de santé mentale bergeracois, prévention suicide, formation de sentinelles de détection…

Laurent Eecke, directeur de services santé travail (SPST 24-19), s’interroge sur les inégalités populationnelles à l’aune des 75 000 salariés accompagnés en 24, invite à mêler santé publique, environnementale, du travail ; « à ouvrir sur les publics, en chaînant toutes les approches ». Un projet commun Cpam-SPST porte sur un écosystème pour accompagner les assurés en arrêt de travail afin de les remobiliser. Et s’agissant des attraits de la Dordogne, il note que « le marketing social via le tourisme mériterait d’être valorisé ».

Bientôt des bilans prévention gratuits

Mireille Volpato, après avoir rappelé que pour l’OMS la santé entend le bien-être physique, mental et social (ne pas avoir recours aux soins), note qu’éduquer, dépister, sensibiliser se pratique dès l’enfance. C’est le rôle des PMI. Delphine Camblanne ajoute que d’ici quelques semaines, des bilans de prévention gratuits, financés par l’assurance maladie, se feront aux quatre âges clés de la vie, en lien avec les médecin, pharmaciens, infirmiers…

Un grand témoin très investi

Guillaume Garot, député de la Mayenne et ancien ministre, compte trois projets de loi contre la désertification médicale et n’est pas près de baisser les armes pour assurer un égal accès aux soins partout en France, il en va de la promesse républicaine. « On se sent abandonné quand ce qui est possible ailleurs ne l’est pas chez soi.»

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Le péril en chiffres. L’élu rappelle des chiffres choc. 11 % de Français n’ont pas de médecin traitant. On compte trois fois plus de généralistes par habitants dans les Hautes-Alpes que dans l’Eure-et-Loire ; 18 fois plus d’ophtalmos par habitants à Paris que dans la Nièvre ; 23 fois plus de dermatologues par habitants à Paris que dans la Creuse.

Une mobilisation d’avance. L’élu s’engage : ce n’est pas aux territoires de trouver des solutions en se mettant en compétition les uns avec les autres… « On doit sûrement modifier les règles d’exercice au niveau national pour rétablir cet équilibre. » (applaudissements dans la salle) Le groupe transpartisan dont il a pris l’initiative à l’Assemblée nationale (où siège le député du Périgord vert Jean-Pierre Cubertafon) porte cet avis, après des décennies qu’il résume comme un échec collectif de tous les partis au pouvoir. « Ce qui se fait en Dordogne est exemplaire, vous avez une mobilisation d’avance. Je crois à la régulation d’installation des médecins, généralistes, spécialistes, dentistes, en partant des besoins de santé, pour mettre fin à des inégalités qui s’aggravent et se creusent au fil du temps. » Ce qui existe déjà pour les pharmacies, des règles strictes qui ont démontré leur efficacité, doit pouvoir se décliner.

Davantage de médecins, mieux répartis. Cette proposition de loi n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour mais les discussions se poursuivent, « nous travaillons à la deuxième version, le enjeux politiques et démocratiques sont lourds ».

En passant du numerus clausus au numerus apertus, un étau desserré au fil du temps, on a gagné 15 % de plus d’étudiants, ce qui entraîne déjà des questions de manque de professeurs et de place dans la sphère universitaire.

Guillaume Garot ouvre largement la réflexion, car on ne peut pas dissocier la question de la désertification médicale de celle de l’accueil aux urgences, l’engorgement résultant d’un manque de médecins de ville… Avancer sur la meilleure rémunération et le renforcement des effectifs hospitaliers est un choix de société. Sans oublier les indispensables efforts de prévention, et cela commence par l’alimentation dans les établissements scolaires, un chapitre sur lequel la Dordogne s’illustre depuis des années.

Assises à retrouver en replay, avec la deuxième table ronde « De l’urgence à la prise en charge : comment relever le défi de l’accès aux soins non programmés ? »

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