
Le tiers-lieu Au quai des possibles, qui s’installera début 2026 dans l’ancienne médiathèque du Buisson-de-Cadouin pour accompagner les porteurs de projets et accueillir les télétravailleurs, concrétise déjà des événements réguliers qu’il veut organiser en direction du grand public. Ainsi, vendredi 21 novembre, la salle du cinéma Lux était bien remplie pour une séance d’acculturation sur l’IA, laquelle, mine de rien, a déjà 20 ans, rappelle Marianne Dabbadie, chercheuse qui animait la première partie de cette soirée « mythes et réalités de l’intelligence artificielle ». En effet, avant d’être générative et grand public, la technologie se trouvait déjà dans les capteurs du matériel de téléconsultation, par exemple.
Renseignement plutôt qu’intelligence

« L’IA ne comprend pas, mais elle calcule » note d’emblée l’experte. Elle invente aussi… alimentée par ses réseaux de neurones (Large Language Model) qui prélèvent de tout un peu partout. On peut dire qu’elle a une certaine forme d’intelligence (et il faut à ce titre se débarrasser d’emblée du malentendu quant à son nom, fruit d’une mauvaise traduction car intelligence en anglais, comme pour CIA, désigne le renseignement…Guillaume Grall, directeur de Digital Valley, insiste sur ce point) dans sa version générative, capable d’écrire des courriers, des devis, des posts pour les réseaux, de répondre à des questions, de fabriquer des images et des vidéos.
C’est une surdouée à entraîner et à dompter… et surtout à ne pas perdre de vue, en vérifiant systématiquement sa production. Mieux vaut ne pas trop faire confiance, donc, en commençant par réfléchir à ce qu’on partage avec elle. Si le RGPD français protège les usagers, il n’en va pas de même ailleurs… avec ChatGPT notamment. Le Chat du Mistral hexagonal est plus respectueux de vos données. Car pour que l’IA se souvienne de nous, de tout ce qu’on lui apporte en mémoire sur une sollicitation et qui pourra servir la prochaine fois, il faut ouvrir un compte. Et ça, « ce n’est plus un dialogue de un à un mais d’un à des milliards », prévient la chercheuse.
Données et prédictions
Car on a près de soi l’IA qui nous ressemble, elle répond en fonction de nos centres d’intérêt et des références dont on la nourrit. Elle lit beaucoup, dévore ce qu’on lui apporte pour tout apprendre de nous, au risque de nous dévorer. Mais attention, comme elle répond toujours à ce qu’on lui demande, ne dit jamais qu’elle ne sait pas, il lui arrive de produire quelques belles hallucinations, par exemple inventer un épisode de l’histoire de France qui n’existe pas (on en oublier d’importants). Cette brillante “réponse à tout” est forcément persuadée d’avoir raison quand elle se trompe. À chacun de rester vigilant, car ce qu’elle invente est souvent crédible ! Le danger vient aussi de la rapidité d’exécution, qui peut faire oublier de vérifier : la vitesse des super calculateurs (énergivores !) peut faire perdre le contrôle. Dans ce contexte, les chercheurs ne parviennent pas à faire machine arrière pour comprendre le cheminement des neurones de l’IA, les tours et détours empruntés par la machine. Trop complexe. Ce que l’on sait de la meilleure façon pour aller droit au but recherché, c’est que plus la question est claire et précise, plus la réponse est pertinente. C’est tout l’art du prompt, qui prend un peu de temps au début mais en fait gagner beaucoup ensuite.
Révolution silencieuse
L’experte donne quelques clés pour se repérer sur certains chemins numériques, orientant les usagers de gmail vers une fonction souvent méconnue : NotebookLM et sa détermination de sources pour un article sélectionné, avec aussi des résumés audio et vidéo. Elle invite à demander les sources de l’IA qu’on mobilise et de les vérifier. Elle reconnaît que ce « changement de civilisation » fait évoluer les emplois et pousse des métiers à se transformer, que cet outil puissant permet de bénéficier d’un « apprenti invisible » qui libère du temps pour se consacrer à son cœur de métier, mais Marianne Dabbadie invite surtout à « redéfinir un nouveau contrat social » en raison des destructions d’emplois prévisibles, notamment dans les professions intellectuelles et cols blancs. « Se posera de nouveau la question du revenu universel.» Parce que les autres invités présents sont d’accord pour reconnaître cette invention comme la troisième révolution, après le feu et l’électricité (mais on pourrait ajouter la roue ou l’imprimerie parmi les avancées majeures de l’humanité), que ChatGPT est devenu agrégé de math en l’espace de trois ans, nos certitudes doivent se réinventer en conservant une distance critique. Cette soirée, enrichie de témoignages et divers éclairages, a permis d’expliquer sans pour autant justifier cette révolution qui entraîne des pertes (d’emplois, de cerveau…).
Une place à prendre ou à laisser
La question de se pose des usages dans la sphère personnelle ou professionnelle, celle du pouvoir. Celle des limites écologiques, de l’empreinte carbone des data centers. Le niveau de risques n’est pas le même pour tous, le modèle européen n’est pas celui de la Chine ou des États-Unis. Ceux qui s’intéressent à l’Histoire et aux légendes qui l’accompagnent nous rappellent que le fantasme de cette assistance extérieure, pour remplacer l’Homme dans ce qu’il ne veut pas faire, remonte à des milliers d’années, on pense à l’imaginaire du Golem notamment. Et si l’on accepte la puissance de ce substitut, alors il faut penser à la place qu’on va lui laisser et aux risques que cela suppose.








