Accueil BIEN commun La verrerie de Brardville nous est contée

La verrerie de Brardville nous est contée

© Verrerie de Brardville - phototypie Meyrignac et Puydebois, Brive - Coll Daniel Charbonnel
© Verrerie de Brardville - phototypie Meyrignac et Puydebois, Brive - Coll Daniel Charbonnel
PASSAGE EN REVUE. La dernière livraison de Mémoire de la Dordogne, revue des Archives départementales, affiche au sommaire de sérieux sujets d’étude qui en disent long sur le passé et le présent du Périgord. Celui de couverture, La verrerie de Brardville, en Terrassonnais, fait l'objet d'un consistant et passionnant article de Daniel Charbonnel.

La revue des Archives départementales, premier numéro pour le nouveau directeur, Henri Pinoteau (avec une interview à retrouver dans cette livraison) et dernier pour Isabelle Marrast qui en coordonnait la publication, relate sous la plume du professeur et historien Daniel-Antoine Charbonnel la création, l’évolution et la disparition de la verrerie de Brardville (du nom de son fondateur, patron philanthrope), au Lardin-Saint-Lazare. Près d’un siècle plus tard, l’auteur de ce copieux article souligne que « le souvenir de la verrerie du Lardin demeure étonnamment vivant dans la mémoire collective » du Terrassonnais, terre de Résistance.

Du charbon et du verre

Cette usine, créée en 1826, a existé un peu plus d’un siècle, jusqu’en 1934. Restent des pans de murs de pierre de taille d’où émerge une cheminée, le long de la RN89. Nous sommes à quelques encâblures de Condat et les secousses de ce site industriel donnent un contexte particulier à la lecture de l’histoire de cette friche, qui a employé jusqu’à 155 ouvriers. L’activité verrière était liée à la découverte de charbon dans la commune : cette spécialité s’impose alors comme la meilleure façon de valoriser la roche, sur place. Des essais réalisés à Bordeaux confirment que le combustible convient parfaitement pour des bouteilles de verre noir. Des investisseurs se lient au sein d’une compagnie. Une ordonnance de Charles X, reproduite dans la revue, autorise la construction de l’usine. Mais cette première initiative n’aboutira pas, par manque d’actionnaires.

Du verre noir au verre blanc

© Facture de la verrerie avec papier à en-tête illustré, 21 avril 1871, coll. Daniel Charbonnel
© Facture de la verrerie avec papier à en-tête illustré, 21 avril 1871, coll. Daniel Charbonnel

Les dirigeants se succèderont aux commandes de l’usine, qui prospère à partir de 1848 via la rivière depuis le port de Périgueux, vers Bordeaux, puis se développe encore avec l’arrivée du chemin de fer, en 1860. Les souffleurs travaillent par équipe de quatre « autour du four pendant dix à douze heures. En 1879, l’usine emploie 75 ouvriers (…) la production est estimée à 1,2 millions de bouteilles par an ». L’essentiel alimente son dépôt de Bordeaux, qui achète d’autres spécialités à des verreries françaises, pour une vente moyenne de deux millions de flacons.

La position géographique du Lardin, proche de ses débouchés comme des matières premières, semble avantageuse. Mais les capitaux manquent pour moderniser l’outil de production : une hypothèque, des changements de dirigeants au sein de la lignée Delas, la destruction du vignoble par le phylloxéra entraînant une surproduction dans l’industrie verrière… et c’est la crise, l’impossibilité d’honorer les dettes, la vente à la barre du tribunal de Sarlat en 1889, et le sauvetage de la faillite par la nouvelle génération Delas, Jean-François pour la verrerie et son frère Jean-Valentin pour la mine. Le flaconnage de verre blanc — pour la pharmacie et la parfumerie, et pour les mignonnettes de Cognac — succède au verre noir.

« Négrier d’enfants »

En couverture de la revue, une partie de la photo de groupe des ouvriers de la verrerie, dont beaucoup d’enfants…

Sur les 130 employés recensés en 1897, 40 enfants ont moins de 16 ans (juste avant la Grande Guerre, des enfants pupilles de l’assistance publique seront encore placés dans l’usine ; un cas de maltraitance est terriblement décrit, coup porté par un verrier qui est aussi le maire de Saint-Lazare ; une photo de groupe des ouvriers et enfants de l’usine vers 1905 dit tout de leur condition). Entre paternalisme et sanctions, la direction de l’usine assure le logement et les soins. Les idées jugées trop républicaines du médecin attaché à la société de secours mutuels lui vaut d’être remercié en 1886. Un syndicat finit par se former dès 1889 chez les souffleurs et des grèves se succèdent entre 1891 et 1908. Lors de celle de 1892, on compte 100 grévistes sur 155 ouvriers. À mi-chemin entre Brive et Périgueux, le voisinage de ce foyer d’agitation est considéré comme dangereux pour la compagnie d’Orléans et ses 2000 ouvriers… S’appuyant sur une étude de Francis Colbac (2000) sur le sujet, l’auteur détaille les conflits sociaux, l’union syndicale avec l’activité concurrente installée à Terrasson, de 1904 à 1954.

Progil avant Condat

© Ancienne verrerie de Brardville - Daniel Charbonnel - juin 2009
© Ancienne verrerie de Brardville – Daniel Charbonnel – juin 2009

Le début de la guerre de 1914 met un temps l’usine à l’arrêt. Le patron, en quête de personnel, écrit au préfet, proposant de prendre à sa charge des garçons de 13 ans issus de familles nombreuses ou orphelins…  En 1922, Maxime Delas est décrit par le sous-préfet de Sarlat comme « un homme violent, autoritaire » s’étant enrichi pendant la guerre et éclaboussant la région d’un luxe provoquant. Époque à laquelle il baisse les salaires de 20 %. La main d’œuvre qualifiée part à la concurrence terrassonnaise. “Delas de Brardville”, comme il aime se présenter, est contraint de vendre. Les associés qui reprennent l’affaire ne feront guère mieux. À partir de 1931, les ouvriers partent vers l’usine Progil, qui « met en route dans son usine du Lardin la machine 3 qui peut désormais produire 20 tonnes de papier par jour »…. Ce sera une autre histoire, d’autres luttes. Brardville sera démantelé en 1934, victime de la concentration de l’industrie verrière. Une partie des bâtiments sera achetée par Progil pour un entrepôt.

Daniel Charbonnel documente amplement son étude, reflet de recherches appuyées sur une grande variété de sources et parutions, avec des précisions de notices et une précieuse (et émouvante) iconographie.

Au sommaire du numéro 36

On trouve également au menu de ce numéro de la revue, à dévorer en cette période de temps suspendu, une contribution de Maïté Etchechoury et Thierry Baritaud consacrée au château Magne, à Trélissac, à l’architecture de cette résidence de villégiature sous le Second Empire et, à travers elle, à l’histoire de cette famille qui a marqué la vie périgourdine. Sourire assuré avec l’histoire des velléités de police parallèle à Bergerac en 1922 et papilles agitées avec le grimoire de recettes de la famille de Bosredon autour de 1834.

Mœurs à demeure. Hadrien Gouze a réalisé d’importantes recherches pour produire le solide article consacré aux Maisons closes et filles publiques à Bergerac (1840-1946). Nous vous laissons découvrir dans la revue la sordide réalité de la prostitution durant cette période « réglementariste » (à laquelle certains leaders politiques aimeraient revenir !), les coulisses de ce qui est considéré comme un « mal nécessaire » jusqu’à la loi Marthe Richard qui ferme ces maisons déjà closes, de Paris en province (loi après laquelle les « affaires » continuent bien sûr, clandestinement). Jusque-là, on voit à quel point c’est un marché « officiel », avec ses faillites et ses fusions, sa gestion des flux et stocks, un commerce à l’abri des regards et au bon vouloir des riverains de tolérer ces maisons de tolérance, contrôlées par les municipalités jusque dans la tenue vestimentaire des malheureuses « filles de joie ».

© Cartes remises par d'anciennes filles publiques au commissariat de Bergerac - 1502 W 2 - Archives départementales Dordogne
© Cartes remises par d’anciennes filles publiques au commissariat de Bergerac – 1502 W 2 – Archives départementales Dordogne

L’auteur recense les quartiers dédiés, détaille les tapages et les scandales, trace le portrait des tenanciers et tenancières, affaires de familles, propriétés qui se louent, se cèdent, se dirigent, se transmettent. « Le marché des filles publiques en milieu clos » repose sur un prolétariat de jeunes pensionnaires (20 à 30 ans) géré par des « maîtresses de maison » (une bourgeoisie stable), avec seulement deux cas de « promotion interne ». L’auteur évoque le suivi sanitaire, le recensement, les surnoms, les tentatives de corruption, le recrutement, il produit quelques photos d’identité. Un registre permet de compter 236 femmes différentes entre 1934 et 1946 en carte et en maison (41, rue Clairat). Bien peu sont originaires de Dordogne. Elles restent 80 jours en moyenne avant de voyager vers d’autres « maisons », d’autres villes. Exploitées et déracinées. C’était hier ?

Archives en ligne. Dans les archives sonores, les témoignages enregistrés à l’occasion de l’exposition anniversaire Mai 68 sont maintenant en ligne : on plonge ainsi dans une époque au gré des souvenirs d’étudiants, ouvriers, élus… Cette même année anniversaire 2018 marquait la naissance du mouvement des gilets jaunes. Une collecte d’entretiens filmés a été déposée aux Archives, consultable là aussi à distance (la revue publie aussi un Focus sur les cahiers citoyens du Grand débat national, exploration réalisée par Sylvie Vidal). Enfin, en ligne aussi, les registres d’écrou des établissements pénitentiaires de plus de 100 ans.

Et pour constituer les archives de demain, une collecte orale est en cours pour fixer la mémoire de ceux qui étaient enfants entre 1939 et 1945. Il est encore temps de se signaler auprès des Archives départementales.