Accueil BIEN commun La forêt, c’est nous TOUS !

La forêt, c’est nous TOUS !

Forêt durable Dordogne assises
Table ronde : Panorama de la forêt en Dordogne. De gauche à droite : Didier Bazinet, Vice-Pdt CD24, Jean-Claude Nouard SOS Forêt Dordogne, Ingrid Bohême IGN, Roland de Lary CNPF, et Nicolas Lecoeur DRAAF. ©BEP
FORÊT DURABLE. Le Conseil départemental Dordogne-Périgord a organisé à Périgueux le 2 février, des Assises de la forêt. Une initiative visant à réunir et confronter autour de tables rondes, des professionnels de la filière, des propriétaires, des représentants de l’État et des collectivités, et des associations. L’occasion de prendre un peu de hauteur et de réfléchir à la forêt que nous voulons pour demain.

La Dordogne est le troisième département français le plus boisé après les Landes et la Gironde. Elle connait depuis quelques années une radicalisation des désaccords entre professionnels de la filière, citoyens et associations. Ces derniers souhaitent faire entendre une autre parole. Lors de la table ronde « Panorama de la forêt en Dordogne », un débat a suivi la présentation par Ingrid Bohême (Institut Géographique National – IGN) des chiffres de l’inventaire forestier réalisé en Dordogne.

Forêt durable Dordogne assises
Ingrid Bohême IGN
©BEP

La feuille de route de l’État

Grand témoin de la journée, Daniel Perron (juriste spécialiste de l’histoire et des politiques de la forêt), cite le Comte de Martignac (homme politique français et ministre de l’Intérieur 1828-1829). « La conservation des forêts est l’un des premiers intérêts des sociétés et par conséquent des gouvernements ». En mars 2022, la clôture des Assises nationales de la forêt et du bois a esquissé les grandes orientations, pour les filières professionnelles et les propriétaires forestiers, ancrées dans une vision multifonctionnelle de la forêt.

Nicolas Lecoeur (DRAAF) en rappelle les tendances économiques, environnementales et d’accueil. « La forêt est encore mal connue en dépit des chiffres de l’IGN. Pour prendre en compte les spécificités des différents massifs forestiers, nous devons mieux la connaître. Cette connaissance permettra des gestions adaptées. Des dispositifs d’accompagnement déjà en cours, ajoute-t-il, ne font pas de choix de sylviculture. Ces adaptations consistent en des transformations de peuplements plus adaptés, mais également de régénération naturelle d’essences ».

Sans nier l’aspect économique de la gestion forestière, il insiste sur le fait qu’une multitude de gestions favorise une meilleure adaptation au changement climatique, les coupes rases ne se produisant selon lui que sur une infime partie du département. « Ne rien faire, conclut-il, conduirait au dépérissement« .

Les spécificités de notre massif forestier

Notre département compte 180 000 propriétaires forestiers dont 160 000 de moins de quatre hectares. Il est caractérisé par le morcellement des parcelles forestières. La forêt y est à 99 % privée. « L’objectif, souligné par Roland de Lary (directeur du Centre national de la propriété forestière), est de rapprocher les parcelles dans une perspective de regroupement. Cette démarche ne vise pas à opposer les systèmes de sylviculture. Elle entend lutter contre une vision partiale de la forêt, pour aller vers une conception durable et globale.

Forêt durable Dordogne assises
Intervention Didier Bazinet ©BEP

« Ce morcellement, explique Didier Bazinet (Vice-président du CD24, en charge de l’agriculture, de la forêt et de l’aménagement rural) a plusieurs raisons. Depuis la tempête de 1999, de petites surfaces enclavées ne permettent pas la gestion de ces massifs. La politique départementale a consisté notamment à accompagner des propriétaires déficitaires rencontrant des difficultés pour replanter de nouvelles essences.

Sans cet accompagnement, justifie-t-il, des parcelles se trouveraient à l’abandon. L’augmentation de la surface forestière est à mettre en relation avec la déprise agricole qui s’est accentuée ces dernières années ». Face au morcellement des forêts, conclut Didier Bazinet, le Conseil départemental a également privilégié l’aménagement foncier sur certaines communes. Cela a contribué à constituer un parcellaire plus conséquent et à la sécurisation des forêts ».

Forêt durable Dordogne assises
Intervention Jean-Claude Nouard
©BEP

« La forêt n’a pas qu’une valeur économique »

Les inquiétudes et les attentes des citoyens quant à la forêt et à sa gestion sont de plus en plus vives. Certaines pratiques, (coupes rases ou repeuplement de résineux), ne sont plus partagées par les citoyens. Face au dépérissement de certaines essences, ils s’interrogent et expriment des exigences quant à la qualité de la gestion forestière.

Forte de 200 adhérents et de 400 sympathisants, l’association SOS Forêt Dordogne milite pour faire entendre une autre parole. Elle dénonce la mal-forestation déséquilibrant la biodiversité. Technicien forestier durant 40 ans et co-président de l’association, Jean-Claude Nouard pose d’emblée la question de la définition de la forêt. Excluant les définitions administratives et statistiques, il rappelle « que la forêt n’a pas qu’une valeur économique ». Il s’en tient donc « à la stricte définition scientifique dont de nombreux peuplements actuels et autres champs d’arbres ne font pas partie ».

Des statistiques en trompe-l’œil ?

Face à l’augmentation de la surface forestière qu’il estime artificielle, Jean-Claude Nouard évoque « les accrues de bois qui ne sont pas des bois au sens du code forestier mais qu’on intègre à la surface forestière ». Soulignant « l’éradication des peuplements de feuillus ces dix dernières années au profit de peuplements de résineux », il dénonce « une gestion forestière entre les mains de la seule économie. Elle privilégierait une orientation vers quatre essences principales à forte valeur économique sans se soucier du devenir des autres.

Faisant référence au bilan 2021 du plan de relance de la Préfecture de région, il fait état de 83% de résineux en reboisement, pour seulement 17% de feuillus, et déplore la baisse de la biodiversité. « Des chiffres, selon Nicolas Lecoeur, à mettre en relation avec la réalité des surfaces en Dordogne essentiellement composées de feuillus ».

Daniel Perron, grand témoin des Assises de la forêt

Forêt durable Dordogne assises
Daniel Perron
©Fondation Jean Jaurès

Nous sommes tous d’accord pour considérer que nos usages de la nature ne peuvent perdurer. Néanmoins, le juriste relève un hiatus entre les professionnels et le grand public, qui pense que l’on déforeste en France. « Or, souligne-t-il, la forêt française continue de croître et représente 17 millions d’hectares sur 30% de notre territoire. (10,7 millions en 1712). D’où l’importance de prendre en compte un double mouvement lorsque l’on réfléchit à l’avenir de notre forêt nationale.

Émergence d’une dynamique économique

Constatant le déficit commercial français en bois de 7 milliards d’euros, Daniel Perron considère notre dépendance aux forêts d’ailleurs comme une contribution à la déforestation, par nos usages et nos achats. Peut-être, propose-t-il, « devrions-nous mieux gérer notre forêt pour subvenir à nos besoins dans un contexte de relocalisation des productions ».

Ce qui vaut pour l’agriculture est possible pour la forêt. « Cela signifierait, poursuit-il, que cette nécessaire refonte de l’économie permettrait à tous les échelons de la filière de vivre de leur travail. » Cette évolution ne peut se faire que dans la conscience des défis environnementaux de la durabilité.

Partage démocratique et coopération

Le second axe est le partage de la réflexion entre les acteurs économiques et politiques et les citoyens. « Mais, souligne-t-il, cela ne peut se faire que si l’on partage aussi le même langage. Cela suppose une vision commune respectueuse des uns envers les autres.

L’urgence forestière s’est imposée à la fois aux politiques et aux citoyens qui s’en saisissent de plus en plus. « D’où la nécessité, insiste Daniel Perron, de penser la forêt comme un tout et ne plus séparer public et privé. Sans occulter le point de mire. Quelle forêt aurons-nous demain? Comment l’adapter aux risques ? Constitue-t-elle un bien commun ?

Autant de questions et de pistes de réflexion à soumettre à toutes les parties prenantes, pour penser la forêt que nous laisserons aux générations futures. Sans oublier que l’échelle temporelle du forestier n’est pas celle des réseaux sociaux…