Accueil BIEN naturel Erika a plus d’une idée dans ses ruches

Erika a plus d’une idée dans ses ruches

© SBT
REINE. Après avoir beaucoup voyagé, Paul Thirion s'est installé en Périgord pour fabriquer du miel et des alcools forts sous la marque Erika, du nom d’une espèce de bruyère chère à ses colonies.

Originaire de Fontainebleau, Paul Thirion est ébéniste de formation : du bois à la ruche, il n’y a qu’un pas, qu’il a aussitôt franchi. Arrivé en Dordogne en 1996, il est entré chez les Compagnons dès lors que ses 16 ans lui ont permis de se lancer dans cet apprentissage nomade. Mais juste avant, le hasard du cercle amical lui avait fait rencontrer un apiculteur désireux de fabriquer des ruches. La passion pour le bois de Paul lui a fait la courte-échelle vers cet autre univers. « Une fois chez les Compagnons, entre Angers, Limoges, Cholet, etc., j’ai continué à travailler avec lui, dans le Gers. Puis j’ai lâché l’atelier pour devenir assistant d’artiste peintre, je suis parti aux Antilles, j’ai été charpentier… Quand, autour de 22 ans, j’ai dû prendre une décision, j’ai réalisé que l’apiculture avait pris beaucoup de place dans ma vie.»

Il mesure rapidement le potentiel pour en faire son métier « et ça me plaisait de vivre en extérieur, de changer d’environnement avec les saisons… », souriant de se retrouver « ganté et voilé en plein été pendant que les autres sont en maillot ». Le travail de l’apiculture a peu évolué au fil du temps, passé des ruches en osier aux abris en bois, avec une faible mécanisation. « Ouvrir une ruche relève d’une tradition intacte. Même dans une entreprise de 10 000 ruches, comme au Québec.»

Spirituel et spiritueux

Passer du miel aux spiritueux n’a rien d’une évidence. Si Paul Thirion embrasse les deux univers, c’est par réminiscence de son arrière-grand-père, qui avait une distillerie de rhum en Guadeloupe, et de son grand-père, négociant en vin. Paul a toujours vécu dans un environnement de vente et production. « En Irlande, où vivait mon père, j’ai découvert le gin tonic à une époque où ma mère suivait quant à elle une formation pour distiller des huiles essentielles. » Le précipité de toutes ces influences conduit à Erika Spirit : ce touche-à-tout, curieux de valoriser ce qui se trouve à sa portée dans la nature, a tenté d’utiliser du miel dans la distillation. « Quand on a créé l’entreprise et cette marque, l’idée était de tisser un lien entre apiculture et spiritueux », pour une valorisation mutuelle. L’exploitation agricole née en 2009 est complétée dix ans plus tard par la structure commerciale. « Quand on cherchait le nom de l’entreprise, je travaillais sur un miel que j’utilise dans la distillation, un miel de bruyère erica, ça a fait tilt. » Depuis Bergerac, la gamme ne cesse de se développer depuis, avec de belles idées de cocktails.

Concentré aromatique

L’originalité du gin Erika, c’est le miel incorporé brut en macération avant la distillation. « La transformation de sucre en alcool m’a toujours intéressé. J’ai d’abord rencontré le distillateur qui formait maman, une sorte de savant fou basé en Suisse, puis la distillerie Bercloux, près de Cognac, qui produit à façon et contribue à la création de recettes. On lui a confié un cahier des charges et on a avancé ensemble sur la recherche-développement à partir des plantes que nous souhaitions. On a validé les proportions. » Deux ans après, c’est avec la Distillerie Clovis Reymond, à Villamblard, que Paul met au point la vodka pour le Caviar de Neuvic : « J’ai sympathisé avec Jean-François Marty et nous avons loué ses alambics pour distiller 100 % chez lui, une proximité idéale pour faire du sur-mesure.» Le contact avec le dirigeant du Caviar de Neuvic, Laurent Deverlanges, a d’abord porté sur l’installation de ruches dans le domaine Huso. L’idée d’une vodka s’est imposée pour accompagner le caviar : ainsi est né Neuvik, breuvage plus typé que la neutralité prévue initialement. C’est le début de co-créations imaginées avec d’autres partenaires, en circuit court.

Passage en bio

Des ruches sont installées sur le domaine Huso du Caviar de Neuvic © SBT

L’essentiel de la production d’Erika, c’est du miel de fleurs : châtaignier, acacia, bourdaine, bruyère, fleurs sauvages, « on joue avec les décalages de floraison ». « L’happy-culteur » possède 500 ruches et aimerait ajouter des essaims pour renouveler le cheptel au fil de l’année. À partir des points fixes de Neuvic, Saint-Astier et Issigeac, il organise des transhumances vers Liorac-sur-Louyre et vers le parc naturel des Landes de Gascogne (Landes, Gironde). « En Dordogne, c’est sur la base d’une location informelle avec des agriculteurs. C’est plus compliqué dans les Landes, avec des propriétés plus grandes et des zones parfois touchées par des incendies.»

Il déplace régulièrement ses ruches sur les parcelles, en fonction des saisons, mais aussi de la mortalité, en accord avec des agriculteurs. « Quand on est entre deux fleurs, l’acacia et le tilleul par exemple, on nourrit la colonie pour faire le lien car les abeilles ont faim ou on déplace la ruche pour la production de nectar avant de les rapatrier »

Paul loue aussi ses ruches à des arboriculteurs pour polliniser kiwis et pommiers. Sa production est passée en bio en 2023, un processus délicat de surveillance des butinages déroulé sur un an, un traitement naturel aux attaques de varroas et un nourrissement avec sirop et sucre bio.

L’hydromel, synthèse de deux passions

La boutique de l'Office de tourisme inspirée par Cyrano
Dans la boutique de Quai Cyrano, l’hydromel d’Erika Spirit s’habille en héros légendaire © H.C.

Erika décline sa production avec des gammes composées aussi en coffrets, huit sortes de miels en pots, six références de gin, deux de vodka, deux liqueurs… Et bien sûr l’hydromel, trait d’union logique entre les deux univers, avec trois références (pétillant, doux, sec). « C’est plus compliqué techniquement à réaliser que le gin car on le prépare comme un vin, avec un mélange eau et miel dans des proportions très variables. Je vinifie en fût et il faut maîtriser pas mal d’éléments ». La mise au point d’un whisky Erika figure en bonne place dans les projets car « l’hydromel étant produit en futs de chêne, je me dis qu’il serait intéressant d’y faire vieillir du whisky».

© Erika Spirit

D’autres déclinaisons sont possibles, dans le domaine cosmétique notamment, pour compléter la création faite par Nala, savonnière à Bergerac. « Après des essais avec notre cire, elle fabrique sur mesure des savons Erika. Elle est labellisée slow cosmétique et respecte les propriétés des ingrédients. » Ainsi est né le premier savon miel/citron, surgras, saponifié à froid.

Avec ses associés et investisseurs, Paul continue de développer l’affaire. « Nous avons des grossistes au niveau national, nous vendons un peu à La Réunion, en Suisse et en Belgique ». Le réseau se structure autour d’un réel attachement pour l’hyper local sur fond de concurrence d’un grand nombre de marques au niveau national.

Un œil sur la nature et le climat

Dans son cahier des charges bio, l’apiculteur est supposé utiliser des races locales. Mais la pratique apicole s’est complexifiée, avec des abeilles hybridées en lieu et place de la noire locale d’autrefois, qui n’est plus adaptée à notre environnement. « Il faut essayer de retrouver un équilibre, c’est plus technique qu’avant… Certains apiculteurs veulent davantage de rendement, mais il n’y a plus assez de diversité pour le bol alimentaires des abeilles. » Avec la sécheresse, les plantes en manque de ressource en eau ne produisent pas de nectar, donc ne nourrissent pas les abeilles.

Paul mesure le rôle important à jouer pour les protéger. Une responsabilité, un devoir : « nous sommes, avec elles, les gardiens de l’environnement. Quand elles commencent à mourir, tout un écosystème est en péril, d’autres insectes suivent et, finalement, nous-mêmes. Elles sont des sentinelles que nous pouvons observer, contrairement à d’autres espèces qui disparaissent loin de nos yeux. Leur déclin menace toute une chaîne. »