Accueil BIEN ensemble Derrière les Grandes Fenêtres, de nouveaux imaginaires

Derrière les Grandes Fenêtres, de nouveaux imaginaires

© Les Grandes Fenêtres
ÉCRIRE LE FUTUR. À Excideuil, des projets d'écriture trouvent des sources d'inspiration : la vaste demeure où l'association Les Grandes Fenêtres fait le pari d'une ruralité curieuse devient peu à peu, depuis 2021, un espace d'expérimentation et de recherche pour imaginer ce que sera demain en croisant toutes les formes de culture, au service du vivant.

L’ouverture des Grandes Fenêtres à Excideuil tient d’un petit miracle, le renouveau de ce lieu exceptionnel rencontrant au bon moment des personnes de bonne volonté afin de donner consistance à un projet pour le bien commun.

Tout commence avec la rénovation de cette vaste maison bourgeoise du XVIIIe siècle, située au cœur de la ville, et la volonté de ses propriétaires privés d’aller plus loin que le seul sauvetage de cette architecture. Le couple de mécènes — philosophe et ingénieure agronome — s’est aussi mobilisé pour financer le projet qui animera ces murs (90 % du budget). Nous sommes en ces temps post Covid propices à l’intérêt que se portent de nouveau les humains les uns aux autres, particulièrement en milieu rural, et au renouveau de relations tissées en proximité. Chantal Achilli vient à peine de quitter la direction de L’Odyssée et du festival Mimos, à Périgueux, et met le nouveau temps libre dont elle dispose au service de l’étude d’une destination culturelle et sociétale à ce lieu.

« Dans ce Périgord vert un rien sauvage, ce qui a pu être un handicap devient une chance : on l’a vu après la crise Covid, des personnes cherchent de nouveaux territoires à investir, des lieux de respiration. Ce formidable brassage fera notre force. » Chantal Achilli

Récits transformateurs et futurs souhaitables

Chantal Achilli et Cécile Bruneteau, qui se présente comme facilitatrice : « j’ai l’impression d’avoir fait davantage ici en trois ans qu’en 15 ans dans le Cantal, j’ai été très bien accueillie ». © SBT

Depuis 2021, sa destination n’a cessé d’évoluer et l’arrivée de Cécile Bruneteau à la direction de la structure porteuse, en septembre 2023, lui apporte l’élan nécessaire. Avec le relatif confort, en cette période de restrictions de subventions publiques, de pouvoir compter sur des mécènes investis sur le long terme dans un projet d’envergure.

Après une école d’agriculture à Clermont-Ferrand, elle s’est spécialisée dans l’aménagement du territoire, avec le levier culturel en point d’appui. Expérimentée en ingénierie de projet culturel, elle arrive du Cantal où elle conjuguait déjà des préoccupations environnementale, sociétale, patrimoniale et culturelle en défendant « un modèle de développement basé sur une approche artistique et interculturelle en organisant des rencontres de jeunes européens et d’artistes internationaux dans nos secteurs ruraux », jusqu’à produire et diffuser des spectacles « maison » et à orchestrer une saison culturelle.

Nature humaine et futurs possibles

À l’expertise de Chantal Achilli dans la sphère culturelle, la directrice ajoute son parcours de médiation en ruralité pour donner à ce lieu de création et de recherche, et non pas de diffusion, l’envergure interdisciplinaire qui en fait la richesse. Capable de mobiliser des ressources à disposition et d’attirer celles qui ouvriront de nouvelles perspectives, celle qui se présente avec des compétences « couteau suisse » en la matière continue sa route en Périgord vert avec un souci d’adaptation au terrain. Le projet émergeant esquissé par Chantal Achilli, présidente des Grandes Fenêtres depuis 2023, avec Alain Monteil à la vice-présidence, est bien repéré par les acteurs culturels régionaux (Drac, Alca, agence culturelle Dordogne Périgord, etc.), mais aussi par d’autres représentations territoriales (parcs naturels régionaux, etc.) dans un souci de transversalité, et a gagné une légitimité sachant « qu’il faut compter trois ans pour la préfiguration d’un établissement culturel de cette nature » assure celle-ci. Les Grandes Fenêtres s’inscrit aussi dans les grands événements que sont les Journées européennes du Patrimoine, Châteaux en Fête (avec un projet autour de la figure des troubadours l’an prochain), etc.

« Dans le cadre du projet Appelle-moi poésie dont elle est partenaire, nous accueillons dix poètes pendant 15 jours pour écrire des poésies qu’ils performeront devant la caméra, pour diffusion sur TV5 monde. Ils proposeront des lectures déambulatoires pendant ces journées du Patrimoine. C’est une façon pour nous d’inviter les habitants à venir nous découvrir… »  Cécile Bruneteau
© Deyan Christakiev

Local et global

Inscrite dans une commune qui déborde d’acteurs déjà très engagés au profit d’un territoire et de ceux qui y vivent, l’équipe des Grandes Fenêtres favorise un dialogue entre générations et met en mouvement l’accueil de talents extérieurs pour rapprocher des gens qui pouvaient ne pas se croiser et voisinent désormais autour d’intérêts partagés et de solutions collectives pour un futur du vivre ensemble, dans la grande diversité du vivant, végétal, animal et humain. « Le projet se structure autour d’une idée des futurs possibles, aux différentes manières de voir le monde et de se connecter entre humains et ce qui nous entoure, dans le respect du vivant et des écosystèmes, de manière plus solidaire, » résume Cécile Bruneteau. Ainsi, a-t-elle reçu un auteur d’éco-fictions qui explore des formes de vivre alternatifs pour son processus de création, parmi d’autres capsules d’espoir et de résistance.

À la complexité de l’œuvre de la nature, éternelle et sans cesse renouvelée, se superposent la création et l’imagination humaine : le lieu a l’ambition de faire coexister des inspirations et des fragilités, celles de l’environnement comme celles des artistes, des savoirs en mutations dans un monde en mouvement perpétuel, et des récits conçus ou finalisés dans cet espace de transformation, de fermentation d’idées. « L’accueil d’autrices et d’auteurs, d’abord dans le champ du théâtre et de la littérature, a permis de lancer des ateliers de médiation et l’activité s’est densifiée en 2024, avec une quinzaine de résidences et une soixantaine d’artistes, soit 120 nuitées sur l’année ». De quoi nourrir et rendre possible, avec des méthodes, des contacts et des outils expérimentaux, des interactions de mondes parfois cloisonnés, « pour un développement résilient de ce territoire, qui prend en compte la sauvegarde de la biodiversité et la transformation écologique ».

Convivialité et partage

© Les Grandes Fenêtres

Depuis son ouverture en 2023, le site reçoit et accompagne des auteurs, des artistes, des chercheurs, et aussi des étudiants : la vaste demeure (5 chambres de 40 m2, 600 m2) leur permet de se côtoyer et de frotter leur matière grise à d’autres cerveaux en ébullition, tout en bénéficiant de « cellules » qui n’ont rien de monacales mais sont propices à la réflexion. Avant d’emporter au loin ce qu’il aura mûri, chacun partage à Excideuil le fruit de ses travaux avec des interventions, sous diverses formes, auprès des habitants : rencontres littéraires, sortie de résidence, lectures collectives, balades thématiques, repas, performances, cartes blanches… L’environnement local est invité et associé, dans une généreuse circulation des savoirs et une ouverture des réseaux, grâce à la richesse du tissu associatif, notamment Excit’oeil, ou encore l’arrivée récente d’une librairie.

Approche sensible et intergénérationnelle

Le marché hebdomadaire peut aussi se transformer en terrain d’information pour les chercheurs et artistes accueillis, qui y questionnent les habitants. Et un sujet ancré dans la réalité locale, comme l’effondrement d’une falaise sur la route de Thiviers, ouvre un projet pédagogique sonore sur la question de l’eau et de la roche. Toutes les occasions sont bienvenues pour mêler art, sciences et aménagement du territoire, composer la trame d’un futur éclairé : « ainsi, avec la mairie, un projet de mobilisation citoyenne sur trois ans porte sur la revitalisation du bourg et la renaturation des espaces publics avec la prise en compte des enjeux de réchauffement climatique ».

La question du vieillissement en milieu rural fait aussi partie des pistes de réflexion, en lien avec les personnes âgées de l’Ehpad. Un travail se fait aussi avec la cité scolaire d’Excideuil mais aussi le collège de Lanouaille et le lycée de Chardeuil. « On aborde ainsi un atlas de la biodiversité sous l’angle de l’amnésie écologique, pour raconter aux jeunes qui ne connaissent que le monde tel qu’il est ce qu’il a pu être avant. » Le voisinage, les artistes et habitants investis dans la cité sont souvent curieux de ce qui se passe ici.

« Ce n’est pas toujours facile d’expliquer ce qu’on fait, de trouver les mots : la notion de résidence a un sens précis dans le monde de la culture. » Cécile Bruneteau

Des ponts sont certainement à trouver avec les réflexions en cours à Nontron, avec les promotions successives Design des mondes ruraux de l’École des arts décoratifs. « Et nous allons bientôt travailler avec Geolab, laboratoire de géographie sociale à Limoges, qui travaille sur l’aménagement des territoires, la cohésion et la démocratie locale. » Présidente et directrice aimeraient aussi beaucoup travailler en réseau avec La Maison forte de Monbalen, voisine du Lot-et-Garonne.

Culture… scientifique

© Les Grandes Fenêtres

Ce laboratoire de création prend des formes très différentes, avec des interactions locales qui sont autant d’occasions de médiation culturelle, pour partager les secrets du processus de création. Il s’agit tout d’abord de résidences d’expérimentation, individuelle ou collective, au croisement des arts, des sciences et des sociétés ; de résidences personnelles d’écriture pour des artistes de toutes disciplines, des intellectuels et scientifiques observateurs des transformations du monde sensible. « La structure d’accueil favorise les démarches d’enquête, de collecte auprès des personnes ressources locales », avec un réseau de pairs mobilisé pour cet accompagnement. Des résidences croisées peuvent nourrir le processus créatif, avec des approches méthodologiques. Et des équipes pluridisciplinaires déjà constituées et installées dans les environs peuvent contribuer aux dynamiques de transition socio-environnementales, pour une mise en récit collectif, grâce à des démarches participatives d’enquête. Résultat ? Des formats créatifs hybrides : littérature, poésie, illustration, spectacle vivant, audiovisuel, arts plastiques… pour de nouveaux scénarios expérimentaux, ici et ailleurs. Les étudiants sont bien entendu les bienvenus pour faire grandir leurs compétences sur ce terreau.

En complémentarité des initiatives existantes

© Emmanuelle Espinasse

La transmission participe de la démarche, à l’occasion d’ateliers intergénérationnels, de stages et conférences, débats et rencontres pour aller aussi à la rencontre de publics éloignés ou empêchés, en lien avec le Pôle culture média et le Dispositif territoire éducatif rural, impulsé par la Communauté de Communes Isle Loue Auvezère Périgord. Des activités dédiées à l’éducation à l’image et aux médias portées par les Grandes Fenêtres, la cité scolaire, les associations et collectifs restent à imaginer. À échéance plus lointaine, l’accueil d’un service volontaire européen est envisagé.

Enfin, ce maillon désormais bien repéré à l’échelle de la commune et des environs, joue un rôle inter-associatif avec la mise à disposition de ses intérieurs et extérieurs pour des réunions et activités ponctuelles : un rôle fédérateur qui nourrit le souci de mutualisation d’un point de vue matériel et de cohésion des bénévoles, dans un esprit de mobilisation citoyenne.

Trois lignes d’horizon aux Grandes Fenêtres

• Le soutien et l’accompagnement aux écritures (sous toutes leurs formes : littérature, illustration, recherche, cinéma, arts visuels, écritures hybrides)
• Le dialogue entre les écritures, les arts et les sciences (sociales, humaines, sciences du vivant, dures)
• L’interaction avec le territoire (rencontres publiques, activités de médiation et transmission, projet de territoire fédérateur, approche sensible de l’aménagement du territoire).

Le site, agréé pour 12 personnes, est ouvert huit mois de l’année, avec l’accueil de deux à trois résidences simultanées (bourses de soutien à la création et défraiement), et il est loué en été pour contribuer aux ressources. Actuellement la maison reçoit une directrice du CNRS qui réfléchit aux nouvelles manières d’habiter le monde dans le contexte de bouleversement climatique et les réponses des politiques publiques, avec un philosophe de la Sorbonne et un créateur sonore, sur des thématiques et esthétiques liées. Une cohabitation qui devrait alimenter une inspiration mutuelle. « L’objectif est d’organiser des résidences interdisciplinaires », note Chantal Achilli pour de futurs appels à projets, qui pourraient recevoir la visite de mentors : « une richesse pour les habitants ».

Des auteurs de théâtre, de BD et de fiction sur les relations inter-espèces sont aussi attendus cette fin d’année, des photographes et ethnologues œuvrant sur les traditions culinaires à l’heure où l’on se déracine des écosystèmes (ou comment la cuisine peut nous reconnecter au vivant) et une thématique sur les champignons art & sciences (naturalistes mycologues) qui viendra couronner la période de pousse naturelle des cèpes qui émerveille nos forêts actuellement !