Pour Bergerac, Cyrano est une enseigne, une bannière, une oriflamme, que dis-je, un étendard. Des touristes demandent régulièrement où se situe la maison natale du mousquetaire gascon du XVIIe siècle. Jusqu’alors, ils n’avaient que deux statues à se mettre sous le nez (places de la Myrpe et Pélissière) pour incarner ce héros littéraire, né de la plume d’Edmond Rostand en 1897.

Pour brouiller les pistes, ce Cyrano n’est pas totalement imaginaire, puisqu’il est inspiré de l’écrivain bien réel du XVIIe Savinien de Cyrano, dont la propriété baptisée Bergerac se situait dans la Vallée de Chevreuse, près de Paris. Il n’est jamais venu en Périgord et il est enterré sous l’église de Sannois dans le Val-d’Oise. Mais l’œuvre théâtrale de Rostand puis les nombreuses adaptations cinématographiques ont tellement popularisé le personnage qu’on l’associe à la sous-préfecture de la Dordogne. Ses habitants auraient tort de ne pas se l’approprier.
L’essayage du fameux nez postiche

Après de nombreux projets de musées évoqués depuis des années (lire plus loin), l’équipe du Quai Cyrano regroupant à la fois l’Office de tourisme Bergerac Sud Dordogne et la maison des vins a ouvert “L’expérience Cyrano” en juin 2024.
Nous sommes ici dans un spectacle scénographique immersif où le visiteur se promène librement de scène en scène, des écouteurs sur les oreilles, à travers l’histoire de la pièce scénarisée de manière astucieuse. Au travers de multiples écrans incrustés dans les décors, chacun peut vivre le parcours d’un comédien qui s’approprie le personnage de Cyrano et nous partage quelques moments héroïques de la pièce.

Nous sommes dans les coulisses de ce théâtre numérique où l’on découvre toutes les étapes, parfois sous forme de jeux. Des décors et des costumes à l’essayage du fameux nez postiche qui permet d’incarner le personnage central, de l’escrime à l’art des alexandrins pour charmer la belle Roxane, qui donnent le rythme au texte de Rostand, le visiteur curieux découvre à chaque pas ce qui fait la magie de la pièce.
Savinien de Cyrano, libertin à l’imagination débordante

La réalisation est fluide et la multiplication des images et des sons nous entraîne pour plus d’une heure dans cette histoire. Vers la fin, on découvre que le personnage réel de Savinien de Cyrano, libertin à l’imagination débordante qui rêvait de conquérir la lune, n’a pas grand-chose à voir avec le mousquetaire créé par Edmond Rostand. L’auteur en a fait un énorme succès qui a conquis la planète et lui a permis de devenir académicien français à l’âge de 33 ans !

Parmi les moments de bravoure, il faut s’arrêter devant la grande scène du balcon où Cyrano, caché, fait la cour à Roxane en remplaçant son ami Christian : elle est amoureuse de ce dernier, plus beau mais incapable de parler d’amour ! L’autre grande scène est celle du siège d’Arras, évoqué par le son des canons, où se joue l’issue dramatique de l’histoire. Après ce bon moment en immersion entre la pièce bien connue que l’on révise en accéléré, le monde du théâtre et celui de l’histoire des lettres, chacun saura faire le tri entre le mythe et la réalité. En passant un bon moment avec ce spectacle hybride original.
• Pratique. L’expérience est présentée les jours d’ouverture de l’Office de tourisme. Audio-guide en français et anglais. Du mardi au samedi, à réserver sur huit créneaux horaires de 10 h 15 à 16 h 30, sur quai-cyrano.com. Tél. 05 53 57 03. Adultes 8 euros (avec dégustation de vin 10 euros), réduit 5 euros (étudiants, chômeurs, handicapés…), enfants de 10 à 15 ans 4 euros.
La folie Cyrano

À Bergerac, la création d’un musée Cyrano est un serpent de mer. Les chroniques locales évoquent depuis des années de tels projets qui passionnent des personnalités de tous bords. L’ancien maire Daniel Garrigue, comme l’ex-député macroniste Michel Delpon, et même l’éternel candidat à la mairie Fabien Ruet, s’y sont intéressés. Kléber Rossillon, propriétaire du château de Castelnaud et des jardins de Marqueyssac, a manifesté un temps de l’intérêt, comme le médiatique vigneron Antoine de Corbiac, revendiquant une parenté avec le héros pour pouvoir l’utiliser en marque commerciale.

Parmi les passionnés du sujet, il ne faut pas oublier Thomas Sertillanges, communiquant, animateur de radio, comédien, écrivain, poète et tintinophile réputé. Il se passionne depuis des années pour Edmond Rostand et Cyrano, collectionne tout ce qui touche le héros au grand nez. Sur ses blogs, il recense les actualités comme les objets. Il rêvait de créer un espace Cyrano mais n’a jamais pu aller au bout.
Dans sa boutique Péninsule (comme le nez de Cyrano!) qui valorise l’image de Bergerac, Krystel Gence surfe sur le personnage mythique en créant des objets et des souvenirs. Elle a même joué avec son image pour un calendrier de l’avent où il apparaît, inspiré de peintres de toutes les époques. Cyrano est vraiment partout à Bergerac, jusque sur la signalétique à travers la ville !